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III


Blount, Jollivet.


BLOUNT, avec terreur. – Fousillé ! fousillé ! fousillé !...

JOLLIVET. – Je n’ai pas été maître de mon indignation !

BLOUNT. – Fousillé !... Cette misérable coquine faisait fousillé vous !

JOLLIVET. – Hélas ! oui !... Rien ne peut me sauver et le mieux est de me résigner courageusement !

BLOUNT. – Ah ! Jollivet !

JOLLIVET. – Vous voilà débarrassé de votre rival, de votre ennemi !

BLOUNT, se récriant. – Débarrassé de mon hennemi !

JOLLIVET. – Et il était écrit que notre duel n’aurait jamais lieu !

BLOUNT, ému. – Notre douel ?... Est-ce que vous aviez pensé que je battais jamais moi avec vous, Jollivet ?

JOLLIVET. – Je sais qu’il y avait en vous plus d’emportement que de haine !

BLOUNT. – Oh ! non ! je vous haïssais pas, Jollivet, et si vous avez un peu moqué, vous avez défendu moi dans le bataille, vous avez soigné mon blessure, vous avez sauvé moi comme une bonne et brave gentleman, Jollivet !

JOLLIVET, souriant tristement. – Tiens ! vous ne m’appelez plus Jollivette, monsieur Blount.

BLOUNT. – Et je demandai pardone à vous pour cette méchante plaisanterie !

JOLLIVET. – Alors nous voilà amis... tout à fait ?

BLOUNT. – Oh ! yes, amis jusqu’à la m...

JOLLIVET. – Jusqu’à la mort !... Ce ne sera pas long, hélas !... et je voudrais... avant... de mourir... vous demander un service, ami Blount.

BLOUNT vivement. – Une service ! Oh ! je promettai, je jurai d’avance !...

JOLLIVET. – Nous sommes ici, mon ami, comme deux sentinelles perdues et chargées l’une et l’autre d’éclairer notre pays sur les graves événements qui s’accomplissent. Eh bien, le devoir que je ne pourrai plus remplir, je vous demande de le remplir à ma place.

BLOUNT, très ému. – Oh ! yes ! yes !...

JOLLIVET. – Voulez-vous me promettre, Blount, qu’après avoir adressé chacune de vos correspondances en Angleterre, vous l’envoyez ensuite en France ?

BLOUNT. – Ensuite ! non !... Jollivet, non... pas ensuite. Je voulais remplacer vous, tout à faite, et comme vous étiez plus adroite que moi, vous aviez envoyé toujours les nouvelles le première, eh bien, je promettai que j’envoyai en France... d’abord !

JOLLIVET. – En même temps, Blount, en même temps... je le veux !...

BLOUNT. – Yes !... en même temps !... d’abord !... Êtes-vous satisfaite, Jollivet ?

JOLLIVET. – Oui, mais ce n’est pas tout, Blount.

BLOUNT. – Parlez, je écoutai vous.

JOLLIVET. – Mon ami, j’ai laissé là-bas une femme !...

BLOUNT. – Une femme !

JOLLIVET. – Une jeune femme... et un petit enfant. Elle, bonne comme une sainte ! lui, beau comme un ange !...

BLOUNT, avec reproche. – Oh ! vous aviez une femme et une toute petite bébé, et vous avez quitté eux !... Oh ! Jollivet ! Jollivet.

JOLLIVET, tristement. – Que voulez-vous ?... Nous étions pauvres, mon ami !

BLOUNT, pleurant. – Pauvres !... Et alors vous étiez forcé pour abandonner eux, et moi je reprochai à vous... J’accusai vous... Oh ! my friend, my dear friend !... I am a very bad man... your pardon... for... having spoken as... I have done !... Je demandai pardone à vous. Jollivet, yes !... je demandai pardone, et quand le guerre était finie ici, je jurai que j’allai en France, je cherchai votre fémille, je servai pour père à votre pauvre petite bébé, et je servai pour méri... non !... je servai pour frère à votre bonne jolie femme... je promettai... je jurai... je... (Il lui serre la main, se jette à son cou et l’embrasse. – On entend un bruit de fanfare.)

JOLLIVET. – Qu’est-ce que cela ?

UN TARTARE, entrant. – C’est l’arrivée de l’émir Féofar. Tous les prisonniers doivent se prosterner devant lui... Venez.

BLOUNT. – Prosterner !... je prosternerai pas !... je prosternerai jamais !... (Ils sortent.)

Le décor change à vue et représente le camp tartare.


Huitième tableau – Le camp de l’émir.


La scène représente une place, ornée de pylônes, recouverte d’un splendide velum. À droite, un trône magnifiquement orné ; à gauche, une tente.


Scène I


Féofar, Ivan, les Tartares.


Grands fracas de trompettes et de tambours. Superbe cortège qui défile devant le trône. Féofar, accompagné d’Ivan et de toute sa maison militaire, arrive au camp. Réception solennelle.

IVAN. – Gloire à toi, puissant émir, qui viens commander en personne cette armée triomphante !

TOUS. – Gloire à Féofar ! Gloire à l’émir !

IVAN. – Les provinces de la Sibérie sont maintenant en ton pouvoir. Tu peux pousser tes colonnes victorieuses aussi bien vers les contrées où se lève le soleil que dans celles où il se couche.

FÉOFAR. – Et si je marche avec le soleil ?

IVAN. – C’est te jeter vers l’Europe, et c’est rapidement conquérir le pays jusqu’aux montagnes de l’Oural !

FÉOFAR. – Et si je vais au-devant du flambeau de lumière ?

IVAN. – C’est soumettre à ta domination Irkoutsk et les plus riches provinces de l’Asie centrale.

FÉOFAR. – Quel avis t’inspire ton dévouement à notre cause ?