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imperturbablement, et quelles que fussent les pentes de la route, un trot très-allongé, mais d’une régularité parfaite. Les deux autres chevaux ne semblaient connaître d’autre allure que le galop et se démenaient avec mille fantaisies fort amusantes. L’iemschik, d’ailleurs, ne les frappait pas. Tout au plus les stimulait-il par les mousquetades éclatantes de son fouet. Mais que d’épithètes il leur prodiguait, lorsqu’ils se conduisaient en bêtes dociles et consciencieuses, sans compter les noms de saints dont il les affublait ! La ficelle qui lui servait de guides n’aurait eu aucune action sur des animaux à demi emportés, mais, « napravo », à droite, « na lèvo », à gauche, — ces mots, prononcés d’une voix gutturale, faisaient meilleur effet que bride ou bridon.

Et que d’aimables interpellations suivant la circonstance !

« Allez, mes colombes ! répétait l’iemschik. Allez, gentilles hirondelles ! Volez, mes petits pigeons ! Hardi, mon cousin de gauche ! Pousse, mon petit père de droite ! »

Mais aussi, quand la marche se ralentissait, que d’expressions insultantes, dont les susceptibles animaux semblaient comprendre la valeur !

« Va donc, escargot du diable ! Malheur à toi, limace ! Je t’écorcherai vive, tortue, et tu seras damnée dans l’autre monde ! »

Quoi qu’il en soit de ces façons de conduire, qui exigent plus de solidité au gosier que de vigueur au bras des iemschiks, le tarentass volait sur la route et dévorait de douze à quatorze verstes à l’heure.

Michel Strogoff était habitué à ce genre de véhicule et à ce mode de transport. Ni les soubresauts, ni les cahots ne pouvaient l’incommoder. Il savait qu’un attelage russe n’évite ni les cailloux, ni les ornières, ni les fondrières, ni les arbres renversés, ni les fossés qui ravinent la route. Il était fait à cela. Sa compagne risquait d’être blessée par les contre-coups du tarentass, mais elle ne se plaignit pas.

Pendant les premiers instants du voyage, Nadia, ainsi emportée à toute vitesse, demeura sans parler. Puis, toujours obsédée de cette pensée unique, arriver, arriver :

« J’ai compté trois cents verstes entre Perm et Ekaterinbourg, frère ! dit-elle. Me suis-je trompée ?

— Tu ne t’es pas trompée, Nadia, répondit Michel Strogoff, et lorsque nous aurons atteint Ekaterinbourg, nous serons au pied même des monts Ourals, sur leur versant opposé.

— Que durera cette traversée dans la montagne ?

— Quarante-huit heures, car nous voyagerons nuit et jour. — Je dis nuit et