Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donc partis, et s’ils avaient quitté ensemble Nijni-Novgorod, c’est que le même instinct les poussait en avant. Il était donc naturel qu’ils eussent pris le même moyen de transport et qu’ils suivissent la même route jusqu’aux steppes sibériennes. Compagnons de voyage, amis ou ennemis, ils avaient devant eux huit jours avant « que la chasse fût ouverte ». Et alors au plus adroit ! Alcide Jolivet avait fait les premières avances, et, si froidement que ce fût, Harry Blount les avait acceptées.

Quoi qu’il en soit, au dîner de ce jour, le Français, toujours ouvert et même un peu loquace, l’Anglais, toujours fermé, toujours gourmé, trinquaient à la même table, en buvant un Cliquot authentique, à six roubles la bouteille, généreusement fait avec la sève fraîche des bouleaux du voisinage.

En entendant ainsi causer Alcide Jolivet et Harry Blount, Michel Strogoff s’était dit :

« Voici des curieux et des indiscrets que je rencontrerai probablement sur ma route. Il me paraît prudent de les tenir à distance. »

La jeune Livonienne ne vint pas dîner. Elle dormait dans sa cabine, et Michel Strogoff ne voulut pas la faire réveiller. Le soir arriva donc sans qu’elle eût reparu sur le pont du Caucase.

Le long crépuscule imprégnait alors l’atmosphère d’une fraîcheur que les passagers recherchèrent avidement après l’accablante chaleur du jour. Quand l’heure fut avancée, la plupart ne songèrent même pas à regagner les salons ou les cabines. Étendus sur les bancs, ils respiraient avec délices un peu de cette brise que développait la vitesse du steam-boat. Le ciel, à cette époque de l’année et sous cette latitude, devait à peine s’obscurcir entre le soir et le matin, et il laissait au timonier toute aisance pour se diriger au milieu des nombreuses embarcations qui descendaient ou remontaient le Volga.

Cependant, entre onze heures et deux heures du matin, la lune étant nouvelle, il fit à peu près nuit. Presque tous les passagers du pont dormaient alors, et le silence n’était plus troublé que par le bruit des palettes, frappant l’eau à intervalles réguliers.

Une sorte d’inquiétude tenait éveillé Michel Strogoff. Il allait et venait, mais toujours à l’arrière du steam-boat. Une fois, cependant, il lui arriva de dépasser la chambre des machines. Il se trouva alors sur la partie réservée aux voyageurs de seconde et de troisième classe.

Là, on dormait, non seulement sur les bancs, mais aussi sur les ballots, les colis et même sur les planches du pont. Seuls, les matelots de quart se tenaient debout sur le gaillard d’avant. Deux lueurs, l’une verte, l’autre rouge, projetées