Page:Verne - Michel Strogoff - Un drame au Mexique, 1905.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le sud de la mer Caspienne, soit en Perse, soit en Turquie, soit dans les plaines du Turkestan. Les postes de l’Oural et des montagnes qui forment comme le prolongement de ce fleuve sur la frontière russe ne leur eussent pas permis de passer. C’était donc un millier de verstes qu’ils étaient dans la nécessité de parcourir, avant de pouvoir fouler un sol libre.

Au moment où la lecture de l’arrêté avait été faite par le maître de police, Michel Strogoff fut frappé d’un rapprochement qui surgit instinctivement dans son esprit.

« Singulière coïncidence ! pensa-t-il, entre cet arrêté qui expulse les étrangers originaires de l’Asie et les paroles échangées cette nuit entre ces deux bohémiens de race tsigane. « C’est le Père lui-même qui nous envoie où nous voulons aller ! » a dit ce vieillard. Mais « le Père », c’est l’empereur ! On ne le désigne pas autrement dans le peuple ! Comment ces bohémiens pouvaient-ils prévoir la mesure prise contre eux, comment l’ont-ils connue d’avance, et où veulent-ils donc aller ? Voilà des gens suspects, et auxquels l’arrêté du gouverneur me paraît, cependant, devoir être plus utile que nuisible ! »

Mais cette réflexion, fort juste à coup sûr, fut coupée net par une autre qui devait chasser toute autre pensée de l’esprit de Michel Strogoff. Il oublia les tsiganes, leurs propos suspects, l’étrange coïncidence qui résultait de la publication de l’arrêté… Le souvenir de la jeune Livonienne venait de se présenter soudain à lui.

« La pauvre enfant ! s’écria-t-il comme malgré lui. Elle ne pourra plus franchir la frontière ! »

En effet, la jeune fille était de Riga, elle était Livonienne, Russe par conséquent, elle ne pouvait donc plus quitter le territoire russe ! Ce permis, qui lui avait été délivré avant les nouvelles mesures n’était évidemment plus valable. Toutes les routes de la Sibérie venaient de lui être impitoyablement fermées, et, quel que fût le motif qui la conduisît à Irkoutsk, il lui était dès à présent interdit de s’y rendre.

Cette pensée préoccupa vivement Michel Strogoff. Il s’était dit, vaguement d’abord, que, sans rien négliger de ce qu’exigeait de lui son importante mission, il lui serait possible, peut-être, d’être de quelque secours à cette brave enfant, et cette idée lui avait souri. Connaissant les dangers qu’il aurait personnellement à affronter, lui, homme énergique et vigoureux, dans un pays dont les routes lui étaient cependant familières, il ne pouvait pas méconnaître que ces dangers seraient infiniment plus redoutables pour une jeune fille. Puisqu’elle se rendait à Irkoutsk, elle aurait à suivre la même route que lui, elle serait obligée de pas-