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brouillards, froids excessifs, chasse-neiges longs et redoutables, dont les tourbillons enveloppent quelquefois et font périr des caravanes entières. Il arrive bien aussi que des loups, poussés par la faim, couvrent la plaine par milliers. Mais mieux eût valu courir ces risques, car, avec ce dur hiver, les envahisseurs tartares se fussent de préférence cantonnés dans les villes, leurs maraudeurs n’auraient pas couru la steppe, tout mouvement de troupes eût été impraticable, et Michel Strogoff eût plus facilement passé. Mais il n’avait à choisir ni son temps ni son heure. Quelles que fussent les circonstances, il devait les accepter et partir.

Telle était donc la situation, que Michel Strogoff envisagea nettement, et il se prépara à lui faire face.

D’abord, il ne se trouvait plus dans les conditions ordinaires d’un courrier du czar. Cette qualité, il fallait même que personne ne pût la soupçonner sur son passage. Dans un pays envahi, les espions fourmillent. Lui reconnu, sa mission était compromise. Aussi, en lui remettant une somme importante, qui devait suffire à son voyage et le faciliter dans une certaine mesure, le général Kissoff ne lui donna-t-il aucun ordre écrit portant cette mention : service de l’empereur, qui est le Sésame par excellence. Il se contenta de le munir d’un « podaroshna ».

Ce podaroshna était fait au nom de Nicolas Korpanoff, négociant, demeurant à Irkoutsk. Il autorisait Nicolas Korpanoff à se faire accompagner, le cas échéant, d’une ou plusieurs personnes, et, en outre, il était, par mention spéciale, valable même pour le cas où le gouvernement moscovite interdirait à tous autres nationaux de quitter la Russie.

Le podaroshna n’est autre chose qu’un permis de prendre les chevaux de poste ; mais Michel Strogoff ne devait s’en servir que dans le cas où ce permis ne risquerait pas de faire suspecter sa qualité, c’est-à-dire tant qu’il serait sur le territoire européen. Il résultait donc, de cette circonstance, qu’en Sibérie, c’est-à-dire lorsqu’il traverserait les provinces soulevées, il ne pourrait ni agir en maître dans les relais de poste, ni se faire délivrer des chevaux de préférence à tous autres, ni réquisitionner les moyens de transport pour son usage personnel. Michel Strogoff ne devait pas l’oublier ; il n’était plus un courrier, mais un simple marchand, Nicolas Korpanoff, qui allait de Moscou à Irkoutsk, et, comme tel, soumis à toutes les éventualités d’un voyage ordinaire.

Passer inaperçu, — plus ou moins rapidement, — mais passer, tel devait être son programme.

Il y a trente ans, l’escorte d’un voyageur de qualité ne comprenait pas moins