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malheureux habitants se tordaient dans les étreintes de la fièvre jaune ! C’est pourquoi ces campagnes, inanimées et désertes, demeuraient sans mouvement et sans bruit.

« Quel est ce cône qui s’élève devant nous à l’horizon ? demanda Martinez à José.

— Le cône de la Brea, et il est à peine plus élevé que la plaine ! » répondit dédaigneusement le gabier.

Ce cône était la première saillie importante de l’immense chaîne des Cordillières.

« Pressons le pas, dit Martinez, en prêchant d’exemple. Nos chevaux sont originaires des haciendas du Mexique septentrional, et, dans leurs courses à travers les savanes, ils sont habitués à ces inégalités de terrain. Profitons donc des pentes du chemin, et sortons de ces immenses solitudes, qui ne sont pas faites pour nous égayer !

— Est-ce que le lieutenant Martinez aurait des remords ? demanda José en haussant les épaules.

— Des remords !… non !… »

Martinez retomba dans un silence absolu, et tous deux marchèrent au trot rapide de leurs montures.

Ils atteignirent le cône de la Brea, qu’ils franchirent par des sentiers abrupts, le long de précipices qui n’étaient pas encore ces insondables abîmes de la Sierra Madre. Puis, le versant opposé descendu, les deux cavaliers s’arrêtèrent pour faire reposer leurs chevaux.

Le soleil allait disparaître à l’horizon, quand Martinez et son compagnon arrivèrent au village de Cigualan. Ce village ne comptait que quelques huttes habitées par de pauvres Indiens, de ceux qu’on appelle « mansos », c’est-à-dire agriculteurs. Les indigènes sédentaires sont, en général, très paresseux, car ils n’ont qu’à ramasser les richesses que leur prodigue cette féconde terre. Aussi leur fainéantise les distingue-t-elle essentiellement et des Indiens jetés sur les plateaux supérieurs, que la nécessité a rendus industrieux, et de ces nomades du nord, qui, vivant de déprédations et de rapines, n’ont jamais de demeures fixes.

Les Espagnols ne reçurent dans ce village qu’une médiocre hospitalité. Les Indiens, les reconnaissant pour leurs anciens oppresseurs, se montrèrent peu disposés à leur être utiles.

D’ailleurs, avant eux, deux autres voyageurs venaient de traverser le village et avaient fait main basse sur le peu de nourriture disponible.