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de l’Angara. Que le feu fut mis par malveillance ou imprudence, en un clin d’œil l’inflammation se fût propagée jusqu’au delà d’Irkoutsk.

En tout cas, sur le radeau, aucune imprudence n’était à craindre ; mais tout était à redouter de ces incendies allumés sur les deux rives de l’Angara, car il suffisait d’un brandon ou d’une étincelle, tombant dans le fleuve, pour allumer ce courant de naphte.

Ce que furent les appréhensions d’Alcide Jolivet et d’Harry Blount, on le comprend mieux qu’on ne peut le peindre. N’aurait-il pas été préférable, en présence de ce nouveau péril, d’accoster l’une des rives, d’y débarquer, d’attendre ? Ils se le demandèrent.

« En tout cas, dit Alcide Jolivet, quel que soit le danger, je sais quelqu’un qui ne débarquerait pas ! »

Et il faisait allusion à Michel Strogoff.

Cependant, le radeau dérivait rapidement au milieu des glaçons, dont les rangs se pressaient de plus en plus.

Jusqu’alors, aucun détachement tartare n’avait été signalé sur les berges de l’Angara, ce qui indiquait que le radeau n’était pas encore arrivé à la hauteur de leurs avant-postes. Cependant, vers dix heures du soir, Harry Blount crut voir de nombreux corps noirs qui se mouvaient à la surface des glaçons. Ces ombres, sautant de l’un à l’autre, se rapprochaient rapidement.

« Des Tartares ! » pensa-t-il.

Et se glissant près du vieux marinier qui se tenait à l’avant, il lui montra ce mouvement suspect.

Le vieux marinier regarda attentivement.

« Ce ne sont que des loups, dit-il. J’aime mieux ça que des Tartares. Mais il faut se défendre, et sans bruit ! »

En effet, les fugitifs eurent à lutter contre ces féroces carnassiers, que la faim et le froid jetaient à travers la province. Les loups avaient senti le radeau, et bientôt ils l’attaquèrent. De là, nécessité pour les fugitifs d’engager la lutte, mais sans se servir d’armes à feu, car ils ne pouvaient être éloignés des postes tartares. Les femmes et les enfants se groupèrent au centre du radeau, et les hommes, les uns armés de perches, les autres de leur couteau, la plupart de bâtons, se mirent en mesure de repousser les assaillants. Ils ne faisaient pas entendre un cri, mais les hurlements des loups déchiraient l’air.

Michel Strogoff n’avait pas voulu rester inactif. Il s’était étendu sur le côté du radeau attaqué par la bande des carnassiers. Il avait tiré son couteau, et, chaque fois qu’un loup passait à sa portée, sa main savait le lui enfoncer dans