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Madeleine. Au fond, ils n’étaient pas sans éprouver quelque émotion tous les deux.

« Eh ! tant mieux ! pensait Alcide Jolivet. Il faut être ému pour émouvoir ! Je crois même qu’il y a un vers célèbre à ce sujet, mais, du diable ! si je sais… »

Et avec ses yeux si exercés, il cherchait à percer l’ombre épaisse qui enveloppait le fleuve.

Cependant, de grands éclats de lumière rompaient parfois ces ténèbres et découpaient les divers massifs des rives sous un aspect fantastique. C’était quelque forêt en feu, quelque village brûlant encore, sinistre reproduction des tableaux du jour avec le contraste de la nuit en plus. L’Angara s’illuminait alors d’une berge à l’autre. Les glaçons formaient autant de miroirs qui, réverbérant la flamme sous tous les angles et sous toutes les couleurs, se déplaçaient suivant les caprices du courant. Le radeau, confondu au milieu de ces corps flottants, passait, sans être aperçu.

Le danger n’était donc pas encore là.

Mais un péril d’une autre nature menaçait les fugitifs. Celui-là, ils ne pouvaient le prévoir, et, surtout, ils ne pouvaient pas y parer. Ce fut à Alcide Jolivet que le hasard le signala, et voici dans quelle circonstance.

Alcide Jolivet, couché du côté droit du radeau, avait laissé sa main pendre au fil de l’eau. Soudain, il fut surpris de l’impression que lui causa le contact du courant à sa surface, Il semblait être de consistance visqueuse, comme s’il eut été formé d’une huile minérale.

Alcide Jolivet, contrôlant alors le toucher par l’odorat, ne put s’y tromper. C’était bien une couche de naphte liquide, qui surnageait à la partie supérieure du courant de l’Angara et coulait avec lui !

Le radeau flottait-il donc réellement sur cette substance qui est si éminemment combustible ? D’où venait ce naphte ? Était-ce un phénomène naturel qui l’avait projeté à la surface de l’Angara, ou devait-il servir comme un engin destructeur, mis en œuvre par les Tartares ? Ceux-ci voulaient-ils porter l’incendie jusque dans Irkoutsk par des moyens que les droits de la guerre ne justifient jamais entre nations civilisées ?

Telles furent les deux questions que se posa Alcide Jolivet, mais de cet incident il crut devoir n’instruire qu’Harry Blount, et tous deux furent d’accord pour ne point alarmer leurs compagnons en leur révélant ce nouveau danger.

On sait que le sol de l’Asie centrale est comme une éponge imprégnée de carbures d’hydrogène liquides. Au port de Bakou, sur la frontière persane, à la presqu’île d’Abchéron, sur la Caspienne, dans l’Asie Mineure, en Chine, dans