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Comment Nadia put-elle supporter les fatigues de cette nuit du 16 au 17 août ? Comment trouva-t-elle la force physique nécessaire à fournir une si longue étape ? Comment ses pieds, saignant d’une marche forcée, purent-ils la porter jusque-là ? c’est presque incompréhensible. Mais il n’en est pas moins vrai que le lendemain matin, douze heures après leur départ de Tomsk, Michel Strogoff et elle atteignaient le bourg de Sémilowskoë, après une course de cinquante verstes.

Michel Strogoff n’avait pas prononcé une seule parole. Ce n’était pas Nadia qui tenait sa main, ce fut lui qui tint celle de sa compagne pendant toute cette nuit ; mais, grâce à cette main qui le guidait rien que par ses frémissements, il avait marché avec son allure ordinaire.

Sémilowskoë était presque entièrement abandonnée. Les habitants, redoutant les Tartares, avaient fui dans la province d’Yeniseisk. À peine deux ou trois maisons étaient-elles encore occupées. Tout ce que la ville contenait d’utile ou de précieux avait été enlevé sur des charrettes.

Cependant, Nadia était dans la nécessité de faire là une halte de quelques heures. Il leur fallait à tous deux nourriture et repos.

La jeune fille conduisit donc son compagnon à l’extrémité de la bourgade. Une maison vide, la porte ouverte, était là. Ils y entrèrent. Un mauvais banc de bois se trouvait au milieu de la chambre, près de ce haut poêle commun à toutes les demeures sibériennes. Ils s’y assirent.

Nadia regarda alors bien en face son compagnon aveugle, et comme elle ne l’avait jamais regardé jusqu’alors. Il y avait plus que de la reconnaissance, plus que de la pitié dans son regard. Si Michel Strogoff avait pu la voir, il aurait lu dans ce beau regard désolé l’expression d’un dévouement et d’une tendresse infinis.

Les paupières de l’aveugle, rougies par la lame incandescente, recouvraient à demi ses yeux, absolument secs. La sclérotique en était légèrement plissée et comme racornie, la pupille singulièrement agrandie ; l’iris semblait d’un bleu plus foncé qu’il n’était auparavant ; les cils et les sourcils étaient en partie brûlés ; mais, en apparence du moins, le regard si pénétrant du jeune homme ne semblait avoir subi aucun changement. S’il n’y voyait plus, si sa cécité était complète, c’est que la sensibilité de la rétine et du nerf optique avait été radicalement détruite par l’ardente chaleur de l’acier.

En ce moment, Michel Strogoff étendit les mains.

« Tu es là, Nadia ? demanda-t-il.

— Oui, répondit la jeune fille, je suis près de toi, et je ne te quitterai plus, Michel. »