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Le voyageur Henri Russel-Killough, lui, est absolument affirmatif dans son admiration pour Tomsk. Cela tient-il à ce qu’il a vu en plein hiver, sous son manteau de neige, cette ville, que Mme de Bourboulon n’a visitée que pendant l’été ? Cela est possible et confirmerait cette opinion que certains pays froids ne peuvent être appréciés que dans la saison froide, comme certains pays chauds dans la saison chaude.

Quoi qu’il en soit, M. Russel-Killough dit positivement que Tomsk est non-seulement la plus jolie ville de la Sibérie, mais encore une des plus jolies villes du monde, avec ses maisons à colonnades et à péristyles, ses trottoirs en bois, ses rues larges et régulières, et ses quinze magnifiques églises que reflètent les eaux du Tom, plus large qu’aucune rivière de France.

La vérité est entre les deux opinions. Tomsk, qui compte vingt-cinq mille habitants, est pittoresquement étagée sur une longue colline dont l’escarpement est assez raide.

Mais la plus jolie ville du monde en devient la plus laide, lorsque les envahisseurs l’occupent. Qui eût voulu l’admirer à cette époque ? Défendue par quelques bataillons de Cosaques à pied qui y résident en permanence, elle n’avait pu résister à l’attaque des colonnes de l’émir. Une certaine partie de sa population, qui est d’origine tartare, n’avait point fait mauvais accueil à ces hordes, tartares comme elle, et, pour le moment, Tomsk ne semblait guère être ni plus russe ni plus sibérienne que si elle eût été transportée au centre des khanats de Khokhand ou de Boukhara.

C’était à Tomsk que l’émir allait recevoir ses troupes victorieuses. Une fête avec chants, danses et fantasias, et suivie de quelque bruyante orgie, devait être donnée en leur honneur.

Le théâtre choisi pour cette cérémonie, réglée suivant le goût asiatique, était un vaste plateau situé sur une portion de la colline qui domine d’une centaine de pieds le cours du Tom. Tout cet horizon, avec sa longue perspective de maisons élégantes et d’églises aux coupoles ventrues, les nombreux méandres du fleuve, les arrière-plans de forêts noyés dans la brume chaude, tenait dans un admirable cadre de verdure, que lui faisaient quelques superbes groupes de pins et de cèdres gigantesques.

À la gauche du plateau, une sorte d’éblouissant décor représentant un palais d’une architecture bizarre — quelque spécimen sans doute de ces monuments boukhariens, semi-mauresques, semi-tartares — avait été provisoirement élevé sur de larges terrasses. Au-dessus de ce palais, à la pointe des minarets qui le hérissaient de toutes parts, entre les hautes branches des arbres dont le plateau