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— Je pense, mon cher confrère, répondit en souriant Alcide Jolivet, que cet housch-bégui a eu un bien beau geste, quand il a donné l’ordre de nous couper la tête ! »

Quoi qu’il en soit et quel que fût le motif qui eût porté Ivan Ogareff à agir ainsi à l’égard des deux journalistes, ceux-ci étaient libres et ils pouvaient parcourir à leur gré le théâtre de la guerre. Aussi, leur intention était-elle bien de ne point abandonner la partie. L’espèce d’antipathie qu’ils ressentaient autrefois l’un pour l’autre avait fait place à une amitié sincère. Rapprochés par les circonstances, ils ne songeaient plus à se séparer. Les mesquines questions de rivalité étaient à jamais éteintes. Harry Blount ne pouvait plus oublier ce qu’il devait à son compagnon, lequel ne cherchait aucunement à s’en souvenir, et en somme, ce rapprochement, facilitant les opérations de reportage, devait tourner à l’avantage de leurs lecteurs.

« Et maintenant, demanda Harry Blount, qu’est-ce que nous allons faire de notre liberté ?

— En abuser, parbleu ! répondit Alcide Jolivet, et aller tranquillement à Tomsk voir ce qui s’y passe.

— Jusqu’au moment, très-prochain, je l’espère, où nous pourrons rejoindre quelque corps russe ?…

— Comme vous dites, mon cher Blount ! Il ne faut pas trop se tartariser ! Le beau rôle est encore à ceux dont les armes civilisent, et il est évident que les peuples de l’Asie centrale auraient tout à perdre et absolument rien à gagner à cette invasion, mais les Russes sauront bien la repousser. Ce n’est qu’une affaire de temps ! »

Cependant, l’arrivée d’Ivan Ogareff, qui venait de rendre à la liberté Alcide Jolivet et Harry Blount, était au contraire un grave péril pour Michel Strogoff. Que le hasard vînt à mettre le courrier du czar en présence d’Ivan Ogareff, celui-ci ne pourrait manquer de le reconnaître pour le voyageur qu’il avait si brutalement traité au relais d’Ichim, et bien que Michel Strogoff n’eût pas répondu à l’insulte comme il l’eût fait en toute autre circonstance, l’attention aurait été attirée sur lui, — ce qui eût rendu difficile l’exécution de ses projets.

Là était le côté fâcheux de la présence d’Ivan Ogareff. Toutefois, une conséquence heureuse de son arrivée, ce fut l’ordre qui fut donné de lever le camp le jour même et de transporter à Tomsk le quartier général.

C’était l’accomplissement du plus vif désir de Michel Strogoff. Son intention, on le sait, était d’atteindre Tomsk, confondu avec les autres prisonniers, c’est-à-dire sans risquer de tomber entre les mains des éclaireurs qui fourmillaient