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Que devenait Michel Strogoff ? Fléchissait-il enfin sous le poids de tant d’épreuves ? Se regardait-il comme vaincu par cette série de mauvaises chances, qui, depuis l’aventure d’Ichim, avait toujours été en empirant ? Considérait-il la partie comme perdue, sa mission manquée, son mandat impossible à accomplir ?

Michel Strogoff était un de ces hommes qui ne s’arrêtent que le jour où ils tombent morts. Or, il vivait, il n’avait pas même été blessé, la lettre impériale était toujours sur lui, son incognito avait été respecté. Sans doute, il comptait au nombre de ces prisonniers que les Tartares entraînaient comme un vil bétail ; mais, en se rapprochant de Tomsk, il se rapprochait aussi d’Irkoutsk. Enfin, il devançait toujours Ivan Ogareff.

« J’arriverai ! » se répétait-il.

Et, depuis l’affaire de Kolyvan, toute sa vie se concentra dans cette pensée unique : redevenir libre ! Comment échapperait-il aux soldats de l’émir ? Le moment venu, il verrait.

Le camp de Féofar présentait un spectacle superbe. De nombreuses tentes, faites de peaux, de feutre ou d’étoffes de soie, chatoyaient aux rayons du soleil. Les hautes houppes, qui empanachaient leur pointe conique, se balançaient au milieu de fanions, de guidons et d’étendards multicolores. De ces tentes, les plus riches appartenaient aux seides et aux khodjas, qui sont les premiers personnages du khanat. Un pavillon spécial, orné d’une queue de cheval, dont la hampe s’élançait d’une gerbe de bâtons rouges et blancs, artistement entrelacés, indiquait le haut rang de ces chefs tartares. Puis, à l’infini s’élevaient dans la plaine quelques milliers de ces tentes turcomanes que l’on appelle « karaoy » et qui avaient été transportées à dos de chameaux.

Le camp contenait au moins cent cinquante mille soldats, tant fantassins que cavaliers, rassemblés sous le nom d’alamanes. Parmi eux, et comme types principaux du Turkestan, on remarquait tout d’abord ces Tadjiks aux traits réguliers, à la peau blanche, à la taille élevée, aux yeux et aux cheveux noirs, qui formaient le gros de l’armée tartare, et dont les khanats de Khokhand et de Koundouze avaient fourni un contingent presque égal à celui de Boukhara. Puis, à ces Tadjiks se mêlaient d’autres échantillons de ces races diverses qui résident au Turkestan ou dont le pays originaire y confine. C’étaient des Usbecks, petits de taille, roux de barbe, semblables à ceux qui s’étaient jetés à la poursuite de Michel Strogoff. C’étaient des Kirghis, au visage plat comme celui des Kalmouks, revêtus de cottes de mailles, les uns portant la lance, l’arc et les flèches de fabrication asiatique, les autres maniant le sabre, le fusil à mèche et le « tscha-