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gea un peu trop longtemps son observation. Aussi, lorsque l’employé eut fini de télégraphier le troisième verset de la Bible, Alcide Jolivet prit-il sans faire de bruit sa place au guichet, et, ainsi qu’avait fait son confrère, après avoir déposé tout doucement une respectable pile de roubles sur la tablette, il remit sa dépêche, que l’employé lut à haute voix :

« Madeleine Jolivet,
« 10, Faubourg-Montmartre (Paris).

« De Kolyvan, gouvernement d’Omsk, Sibérie, 6 août.
« Les fuyards s’échappent de la ville. Russes battus. Poursuite acharnée de la cavalerie tartare… »

Et lorsqu’Harry Blount revint, il entendit Alcide Jolivet qui complétait son télégramme en chantonnant d’une voix moqueuse :

Il est un petit homme,
Tout habillé de gris,
Dans Paris !…

Trouvant inconvenant de mêler, comme l’avait osé faire son confrère, le sacré au profane, Alcide Jolivet répondait par un joyeux refrain de Béranger aux versets de la Bible.

« Aoh ! fit Harry Blount.

— C’est comme cela, » répondit Alcide Jolivet.

Cependant, la situation s’aggravait autour de Kolyvan. La bataille se rapprochait, et les détonations éclataient avec une violence extrême.

En ce moment, une commotion ébranla le poste télégraphique.

Un obus venait de trouer la muraille, et un nuage de poussière emplissait la salle des transmissions.

Alcide Jolivet finissait alors d’écrire ces vers :

Joufflu comme une pomme,
Qui, sans un sou comptant…


mais, s’arrêter, se précipiter sur l’obus, le prendre à deux mains avant qu’il eût éclaté, le jeter par la fenêtre et revenir au guichet, ce fut pour lui l’affaire d’un instant.

Cinq secondes plus tard, l’obus éclatait au dehors.

Mais, continuant à libeller son télégramme avec le plus beau sang-froid du monde, Alcide Jolivet écrivit :

« Obus de six a fait sauter la muraille du poste télégraphique. En attendons quelques autres du même calibre… »