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très-sombre, malgré le crépuscule qui se prolonge sous cette latitude. D’énormes vapeurs semblaient surbaisser la voûte du ciel, mais aucun vent ne les déplaçait encore. Toutefois, si elles demeuraient immobiles dans le sens d’un horizon à l’autre, il n’en était pas ainsi du zénith au nadir, et la distance qui les séparait du sol diminuait visiblement. Quelques-unes de ces bandes répandaient une sorte de lumière phosphorescente et sous-tendaient à l’œil des arcs de soixante à quatre-vingts degrés. Leurs zones semblaient se rapprocher peu à peu du sol, et elles resserraient leur réseau, de manière à bientôt étreindre la montagne, comme si quelque ouragan supérieur les eût chassées de haut en bas. D’ailleurs, la route montait vers ces grosses nuées, très-denses et presque arrivées déjà au degré de condensation. Avant peu, route et vapeurs se confondraient, et si, en ce moment, les nuages ne se résolvaient pas en pluie, le brouillard serait tel que le tarentass ne pourrait plus avancer, sans risquer de tomber dans quelque précipice.

Cependant, la chaîne des monts Ourals n’atteint qu’une médiocre hauteur. L’altitude de leur plus haut sommet ne dépasse pas cinq mille pieds. Les neiges éternelles y sont inconnues, et celles qu’un hiver sibérien entasse à leurs cimes se dissolvent entièrement au soleil de l’été. Les plantes et les arbres y poussent à toute hauteur. Ainsi que l’exploitation des mines de fer et de cuivre, celle des gisements de pierres précieuses nécessite un concours assez considérable d’ouvriers. Aussi, ces villages qu’on appelle « zavody » s’y rencontrent assez fréquemment, et la route, percée à travers les grands défilés, est aisément praticable aux voitures de poste.

Mais ce qui est facile par le beau temps et en pleine lumière offre difficultés et périls, lorsque les éléments luttent violemment entre eux et qu’on est pris dans la lutte.

Michel Strogoff savait, pour l’avoir éprouvé déjà, ce qu’est un orage dans la montagne, et peut-être trouvait-il, avec raison, ce météore aussi redoutable que ces terribles chasse-neiges qui, pendant l’hiver, s’y déchaînent avec une incomparable violence.

Au départ, la pluie ne tombait pas encore. Michel Strogoff avait soulevé les rideaux de cuir qui protégeaient l’intérieur du tarentass, et il regardait devant lui, tout en observant les côtés de la route, que la lueur vacillante des lanternes peuplait de fantasques silhouettes.

Nadia, immobile, les bras croisés, regardait aussi, mais sans se pencher, tandis que son compagnon, le corps à demi hors de la caisse, interrogeait à la fois le ciel et la terre.