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dix-sept-fois.

sa situation comme l’avait fait Sarcany. Il ne se disait pas que les rôles étaient changés, qu’il tenait maintenant en son pouvoir celui qui l’avait tenu si longtemps dans le sien. Il ne voyait que le présent avec sa ruine immédiate, et ne songeait qu’à la journée du lendemain, qui le remettrait à flot ou le jetterait au dernier degré de la misère.

Telle fut cette nuit pour les deux associés. Si elle permit à l’un de prendre quelques heures de repos, elle laissa l’autre se débattre dans toutes les angoisses de l’insomnie.

Le lendemain, vers dix heures, Sarcany rejoignit Silas Toronthal. Le banquier, assis devant sa table, s’entêtait à couvrir de chiffres et de formules les pages de son carnet.

« Eh bien, Silas, lui demanda-t-il d’un ton léger — le ton d’un homme qui ne veut pas accorder aux misères de ce monde plus d’importance qu’elles ne le méritent, — eh bien, dans vos rêves, avez-vous donné la préférence à la rouge ou à la noire ?

— Je n’ai pas dormi un seul instant !… non !… Pas un seul ! répondit le banquier.

— Tant pis, Silas, tant pis !… Aujourd’hui il faut avoir du sang-froid, et quelques heures de repos vous eussent été nécessaires ! Voyez-moi ! Je n’ai fait qu’un somme, et je suis dans de bonnes