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le lancement du trabacolo.

répétait en s’époumonant le pauvre Pescade. Vous verrez là ce que vous n’avez jamais vu ! Pointe Pescade et Cap Matifou aux prises ! Les deux jumeaux de la Provence ! Oui… deux jumeaux… mais pas du même âge… ni de la même mère !… Hein ! comme nous nous ressemblons… moi surtout ! »

Un jeune homme s’était arrêté devant les tréteaux. Il écoutait gravement ces plaisanteries usées jusqu’à la corde.

Ce jeune homme, âgé de vingt-deux ans au plus, était d’une taille au-dessus de la moyenne. Ses jolis traits, un peu fatigués par le travail, sa physionomie empreinte d’une certaine sévérité, dénotaient une nature pensive, peut-être élevée à l’école de la souffrance. Ses grands yeux noirs, sa barbe qu’il portait entière et tenait de court, sa bouche peu habituée à sourire, mais nettement dessinée sous une fine moustache, indiquaient à ne point s’y méprendre, une origine hongroise, dans laquelle dominait le sang magyar. Il était simplement vêtu du costume moderne, sans prétention à se conformer aux dernières modes. Son attitude ne pouvait tromper : dans ce jeune homme, il y avait déjà un homme.

Il écoutait, on l’a dit, les boniments inutiles de Pointe Pescade. Il le regardait, non sans quelque attendrissement, se démener sur son estrade. Ayant