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le lancement du trabacolo.

— Oui… en présence d’un public en délire… quand, par hasard, il y a un public !

— Un public ! murmura Cap Matifou.

— Donc, reprit Pescade, tais-toi, et ne songeons qu’à gagner ce qu’il faut pour souper ce soir.

— Je n’ai pas faim !

— Tu as toujours faim, Cap Matifou, donc, maintenant, tu as faim ! répondit Pointe Pescade en entrouvrant à deux mains l’énorme mâchoire de son compagnon, qui n’avait pas eu besoin de dents de sagesse pour avoir ses trente-deux dents. Je vois cela à tes canines, longues comme des crocs de boule-dogue ! Tu as faim, te dis-je, et quand nous ne devrions gagner qu’un demi-florin, qu’un quart de florin, tu mangeras !

— Mais toi, mon petit Pescade ?

— Moi ?… un grain de mil me suffit ! Je n’ai pas besoin d’être fort, tandis que toi, mon fils… Suis bien mon raisonnement ! Plus tu manges, plus tu engraisses ! Plus tu engraisses, plus tu deviens phénomène !…

— Phénomène… oui !

— Moi, au contraire, moins je mange, plus je maigris, et plus je maigris, plus je deviens phénomène à mon tour ! Est-ce vrai ?

— C’est vrai, répondit Cap Matifou le plus naïve-