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pescade et matifou.

sement Pointe Pescade. Si elle avait un bout, elle ne serait pas ronde ! Si elle n’était pas ronde, elle ne tournerait pas ! Si elle ne tournait pas, elle serait immobile, et si elle était immobile…

— Eh bien ? demanda Cap Matifou.

— Eh bien, elle tomberait sur le soleil, en moins de temps qu’il ne m’en faut pour escamoter un lapin !

— Et alors ?…

— Et alors il arriverait ce qui arrive à un jongleur maladroit, quand deux de ses boules se rencontrent en l’air ! Crac ! Tout casse, tout tombe, et le public siffle, et il redemande son argent, et il faut le lui rendre, et, ce soir-là, on ne soupe pas !

— Ainsi, demanda Cap Matifou, si la terre tombait sur le soleil, nous ne souperions pas ? »

Et Cap Matifou s’enfonçait jusqu’en ces perspectives infinies. Assis dans un coin de l’estrade, les bras croisés sur son maillot, il remuait la tête comme un Chinois de porcelaine, il ne disait plus rien, il ne voyait plus rien, il n’entendait plus rien. Il s’absorbait dans la plus inintelligible association d’idées. Tout se mêlait en sa grosse caboche. Et voilà qu’il sentit au plus profond de son être se creuser comme un gouffre. Alors il lui sembla qu’il montait haut, très haut… plus haut que très haut : cette expression de Pointe Pescade, appliquée à l’éloignement