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mathias sandorf.

et, peut-être, s’il avait connu son âge, aurait-on appris, non sans surprise, qu’il entrait à peine dans sa vingt-deuxième année.

Chez cet être, d’intelligence médiocre, sans doute, le cœur était bon, le caractère simple et doux. Il n’avait ni haine ni colère. Il n’aurait fait de mal à personne. À peine osait-il serrer la main qu’on lui tendait, tant il craignait de l’écraser dans la sienne. Au fond de sa nature si puissante, rien du tigre dont il avait la force. Aussi, sur un mot, sur un geste de son compagnon, obéissait-il, comme si quelque caprice du créateur en eût fait l’énorme fils de ce gringalet.

Par contraste, à l’extrémité ouest de la baie d’Alger, la pointe Pescade, opposée au Cap Matifou, est mince, effilée, une fine langue rocheuse, qui se prolonge en mer. De là, le nom de Pescade donné à ce garçon de vingt ans, petit, fluet, maigre, ne pesant pas en livres le quart de ce que l’autre pesait en kilos, mais souple, agile de corps, intelligent d’esprit, d’une humeur inaltérable dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, philosophe à sa façon, inventif et pratique, — un vrai singe, mais sans méchanceté, — et indissolublement lié par le sort au bon gros pachyderme qu’il conduisait à travers tous les hasards d’une vie de saltimbanques.