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le torrent de la foïba.

Cependant, cette dernière immersion venait de ranimer Étienne Bathory. Sa main avait cherché la main de Mathias Sandorf. Celui-ci s’était penché et lui disait :

« Sauvés ! »

Mais, ce mot, avait-il donc le droit de le prononcer ? Sauvés, quand il ne savait même pas où se jetait cette rivière, ni quelle contrée elle traversait, ni quand il pourrait abandonner cette épave ? Cependant, tel était son énergie qu’il se redressa sur l’arbre et répéta par trois fois ce mot d’une voix retentissante :

« Sauvés ! Sauvés ! Sauvés ! »

D’ailleurs, qui eût pu l’entendre ? Personne sur ces falaises rocheuses, auxquelles manque l’humus, faites de cailloux et de schistes stratifiés, où il n’y a même pas assez de terre végétale pour nourrir des broussailles. La contrée, qui se cachait derrière les hautes rives, ne pouvait attirer aucun être humain. C’était un pays désolé que traversait cette Foïba, emprisonnée comme l’est un canal de dérivation dans ses murs de granit. Aucun ruisseau ne l’alimentait sur son parcours. Pas un oiseau ne rasait sa surface, pas un poisson, même, ne pouvait s’aventurer dans ses eaux trop rapides. Çà et là émergeaient de grosses roches, dont la crête, ab-