Page:Verne - Mathias Sandorf, Hetzel, 1885, tome 1.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

6
mathias sandorf.

continu de sa tête. Seulement, cette astuce, il cherchait à la cacher sous l’abondance de son bavardage. Il était d’ailleurs plutôt gai que triste, s’épanchant au moins autant que se contenait son jeune compagnon.

Ce jour-là, cependant, Zirone ne parlait qu’avec une certaine modération. Visiblement, la question du dîner l’inquiétait. La veille, une dernière partie de jeu, dans un tripot de bas étage, où la fortune s’était montrée par trop marâtre, avait épuisé les ressources de Sarcany. Aussi tous deux ne savaient-ils que devenir. Ils ne pouvaient compter que sur le hasard, et comme cette Providence des gueux ne se pressait pas de venir à leur rencontre le long du môle de San-Carlo, ils résolurent d’aller au-devant d’elle à travers les rues de la nouvelle ville.

Là, sur les places, sur les quais, sur les promenades, en deçà comme au-delà du port, aux abords du grand canal percé à travers Trieste, va, vient, se presse, se hâte, se démène dans la furie des affaires, une population de soixante-dix mille habitants d’origine italienne, dont la langue, qui est celle de Venise, se perd au milieu du concert cosmopolite de tous ces marins, commerçants, employés, fonctionnaires, au langage fait d’allemand, de français, d’anglais et de slave.