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le pigeon voyageur.

Sarcany ne répondit pas.

« Eh ! suis-je assez sot ! s’écria le Sicilien. N’est-il pas l’heure à laquelle on a faim, quand on a oublié de déjeuner ! »

Les éléments autrichiens, italiens, slaves, sont tellement mélangés dans cette portion du royaume Austro-Hongrois, que la réunion de ces deux personnages, bien qu’ils fussent évidemment étrangers à la ville, n’était point pour attirer l’attention. Au surplus, si leurs poches devaient être vides, personne n’eût pu le deviner, tant ils se pavanaient sous la cape brune qui leur tombait jusqu’aux bottes.

Sarcany, le plus jeune des deux, de taille moyenne, mais bien proportionné, élégant de manières et d’allures, avait vingt-cinq ans. Sarcany, rien de plus. Point de nom de baptême. Et, au fait, il n’avait point été baptisé, étant très probablement d’origine africaine, de la Tripolitaine ou de la Tunisie ; mais, bien que son teint fût bistré, ses traits corrects le rapprochaient plus du blanc que du nègre.

Si jamais physionomie fut trompeuse, c’était bien celle de Sarcany. Il eût fallu être très observateur pour démêler en cette figure régulière, yeux noirs et beaux, nez fin, bouche bien dessinée qu’ombrageait une légère moustache, l’astuce profonde de