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pents de mer, dont il y aurait eu lieu de redouter l’attaque ?…

En tout cas, depuis que ce monstre, quel qu’il fût, avait été vu dans les parages de la Nouvelle-Angleterre, les petites embarcations, les chaloupes de pêche, n’osaient plus s’aventurer au large.

Dès que sa présence était signalée, elles se hâtaient de regagner le plus prochain port. Assurément, la prudence l’exigeait, et, pour peu que cet animal fût de caractère agressif, mieux valait ne point s’exposer à ses atteintes.

Quant aux voiliers de long cours, aux grands steamers, ils n’avaient rien à craindre du monstre, baleine ou autre. Leurs équipages n’étaient pas sans l’avoir aperçu plusieurs fois à plusieurs milles de distance. Mais, dès qu’ils cherchaient à le rejoindre, il s’éloignait si rapidement qu’il eût été impossible de l’approcher. Un jour, même, un petit croiseur de l’État sortit du port de Boston, sinon pour le poursuivre, du moins pour lui envoyer quelques projectiles. En peu d’instants, l’animal se mit hors de portée, et la tentative fut vaine. Jusqu’alors, du reste, il ne semblait pas qu’il eût l’intention de s’attaquer aux chaloupes des pêcheurs.

À ce moment, j’interrompis ma lecture, et, m’adressant à M. Ward, je lui dis :

« En somme, on n’a pas encore eu à se plaindre de la présence de ce monstre… Il fuit devant les gros navires… Il ne se lance pas sur les petits… L’émotion ne doit pas être bien vive chez les gens du littoral…

— Elle l’est pourtant, Strock, et ce rapport en fait foi…

— Cependant, monsieur Ward, la bête ne paraît pas être dangereuse… D’ailleurs, de deux choses l’une, ou elle quittera un jour ces parages, ou on finira par la capturer, et nous la verrons figurer dans le Muséum à Washington…

— Et si ce n’est pas un monstre marin… répondit M. Ward.