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absolument fantastique. Il aurait été peuplé de dragons, de tarasques, de chimères et autres espèces de la tératologie mythologique, préposés à sa garde, que je n’en eusse pas été surpris !

Cependant nous continuions à faire le tour de cette circonvallation, où il semblait que la nature eût fait œuvre humaine, étant donné sa régularité. Et nulle part une interruption dans cette courtine, nulle part un entre-deux de roches par lequel on aurait essayé de se glisser. Partout cette crête, haute d’une centaine de pieds, qu’il était impossible de franchir.

Après avoir suivi le bord du plateau pendant une heure et demie, nous étions revenus à notre point de départ, là où s’était faite la dernière halte à la limite du blad.

Je ne pus cacher mon dépit de cette déconvenue, et il me sembla bien que M. Smith n’était pas moins dépité que moi.

« Mille diables, s’écria-t-il, nous ne saurons donc pas ce qu’il y a à l’intérieur de ce maudit Great-Eyry, et si c’est un cratère…

— Volcan ou non, observai-je, il ne s’y produit aucun bruit suspect, il ne s’en échappe ni fumée ni flammes, rien de ce qui annoncerait une éruption prochaine ! »

Et, en effet, silence profond à l’extérieur comme à l’intérieur. Pas une vapeur fuligineuse ne s’épanchait au-dehors. Aucune réverbération sur les nuages que la brise de l’est chassait au-dessus. Le sol était aussi tranquille que l’air. Ni rumeurs souterraines, ni secousses ne se faisaient sentir sous nos pieds. C’était le calme parfait des hautes altitudes.

Ce qu’il ne faut pas oublier de dire, c’est que la circonférence du Great-Eyry pouvait se chiffrer par douze ou quinze cents pieds, d’après le temps que nous avions employé à en faire le tour, et en tenant compte des difficultés du cheminement au bord de l’étroit plateau. Quant à la surface interne, comment l’évaluer, puisque nous ne savions pas quelle était l’épaisseur des roches qui l’entouraient ?