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maître du monde

Plusieurs heures s’écoulèrent, et combien elles me parurent longues !… Je ne cherchai point à les oublier dans le sommeil. Nombre de pensées, la plupart incohérentes, assaillirent mon esprit. Je me sentais emporté à travers l’impossible, comme je l’étais à travers l’espace par un monstre aérien !… Avec la vitesse qu’il possédait, jusqu’où irait-il durant cette nuit interminable ?… Je me souvenais de l’invraisemblable voyage de l’Albatros, dont le Weldon-Institut avait publié le récit d’après les souvenirs d’Uncle Prudent et de Phil Evans !… Ce que fit Robur-le-Conquérant avec son aéronef, il pouvait le faire avec son aviateur, et même dans des conditions plus faciles, à la fois maître des terres, des mers, des airs !…

Enfin les premiers rayons du jour éclairèrent ma cabine. Me serait-il permis d’en sortir, de reprendre ma place sur le pont, ainsi que j’avais pu le faire à la surface du lac Érié ?…

Je poussai le panneau : il s’ouvrit.

Je me redressai à mi-corps. Autour de l’Épouvante, tout un horizon de mer. Elle volait au-dessus d’un océan, à une hauteur que j’estimais entre mille et douze cents pieds.

Je n’aperçus pas Robur, occupé dans la chambre des machines.

Turner était à la barre, son compagnon à l’avant.

Dès que je fus sur le pont, je vis ce que je n’avais pu voir lors du voyage nocturne entre les chutes du Niagara et le Great-Eyry, le fonctionnement de ces puissantes ailes qui battaient à tribord et à bâbord, en même temps que les turbines se vissaient dans l’air sous les flancs de l’aviateur.

À la position du soleil, quelques degrés au-dessus de l’horizon, je reconnus que nous marchions vers le sud. Par conséquent, si cette direction ne s’était pas modifiée depuis que l’Épouvante avait franchi les murailles de l’enceinte, c’était le golfe du Mexique qui s’étendait sous nos pieds.