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au nom de la loi ! …

vers l’appareil. La résistance eût été inutile, et, d’ailleurs, tout plutôt que d’être abandonné sans ressources dans cette enceinte !

Dès que j’eus pris pied sur le pont, Turner et son compagnon embarquèrent, celui-ci se posta à l’avant, et lui-même entra dans la chambre des machines, éclairée par ces ampoules électriques dont la clarté ne filtrait pas au-dehors.

Robur, lui, se tenait à l’arrière, le régulateur à portée de sa main, afin de régler la vitesse et la direction.

Quant à moi, j’avais dû m’affaler au fond de ma cabine, dont le panneau se referma. Pendant cette nuit, — pas plus qu’au départ de Niagara-Falls, — il ne me serait permis d’observer les manœuvres de l’Épouvante.

Toutefois, si je ne pouvais rien voir de ce qui se faisait à bord, je pouvais du moins entendre les bruits de la machine. J’eus même la sensation que l’appareil, lentement soulevé, perdait contact avec le sol. Quelques balancements se produisirent ; puis les turbines inférieures acquirent une rapidité prodigieuse, tandis que les grandes ailes battaient avec une parfaite régularité.

Ainsi l’Épouvante — probablement pour toujours — avait quitté le Great-Eyry, et « repris l’air », comme on dit d’un navire qu’il a repris la mer. L’aviateur planait au-dessus de la double chaîne des Alleghanys, et, sans doute, il n’abandonnerait les hautes zones qu’après avoir dépassé le relief orographique de cette partie du territoire.

Mais quelle direction suivait-il ?… Dominait-il dans son vol les vastes plaines de la Caroline du Nord, se dirigeant vers l’océan Atlantique ?… Au contraire, filait-il vers l’ouest pour traverser l’océan Pacifique ?… Ne gagnait-il pas au sud les parages du golfe du Mexique ?… Le jour venu, comment reconnaîtrais-je au-dessus de quelle mer il se déplacerait, si la ligne du ciel et d’eau l’entourait de toutes parts ?…