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maître du monde

Dans ces conditions, à quel parti devais-je m’arrêter ?… Étant bon nageur, lorsque nous serions par le travers des destroyers, ou plutôt entre eux, ne serait-ce pas l’occasion de me jeter à l’eau, occasion qui ne se reproduirait peut-être plus ?… Le capitaine ne pourrait s’attarder à me reprendre !… En plongeant, n’aurais-je pas chance de lui échapper ?… Je serais aperçu de l’un ou de l’autre navire… Qui sait si les commandants n’avaient pas été prévenus de ma présence possible à bord de l’Épouvante ?… Une embarcation viendrait me recueillir ?…

Évidemment, les chances de succès seraient plus grandes si l’Épouvante s’engageait entre les rives du Niagara. À la hauteur de l’île Navy, je pourrais prendre pied sur un territoire que je connaissais bien… Mais, supposer que le capitaine se lancerait sur cette rivière barrée par les cataractes, cela me paraissait impossible… Donc, je résolus de laisser les destroyers s’approcher davantage, et, le moment venu, je me déciderais…

Car, faut-il l’avouer, ma décision n’était pas arrêtée… Non !… je ne pouvais me résigner, en m’échappant, à perdre toute chance de pénétrer ce mystère… Mes instincts de policier se révoltaient à cette pensée que je n’avais qu’à étendre la main pour saisir cet homme mis hors la loi !… Non ! je ne me sauverais pas !… C’eût été abandonner pour jamais la partie !… Il est vrai, quel sort m’attendait et jusqu’où m’entraînerait l’Épouvante, si je restais à bord ?…

Il était six heures et un quart. Les destroyers se rapprochaient, laissant entre eux une distance de douze à quinze encablures. L’Épouvante, sans même forcer sa vitesse, ne tarderait pas à avoir l’un sur bâbord, l’autre sur tribord.

Je n’avais pas quitté ma place. L’homme de l’avant était près de moi.

Immobile à la barre, les yeux brillants sous ses sourcils con-