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départ de Washington, M. Ward m’avait avisé de leur présence. Un télégramme aux commandants de ces destroyers suffirait, si besoin était de les lancer à la poursuite de l’Épouvante. Mais comment la gagner en vitesse, et, lorsqu’elle se changerait en sous-marin, comment l’attaquer à travers les eaux de l’Érié, où elle aurait cherché refuge ?… Arthur Wells convenait que, dans cette lutte inégale, l’avantage ne serait pas pour les destroyers. Donc, dès la nuit prochaine, si nous ne réussissions pas, la campagne serait manquée !

Wells m’avait dit que la crique de Black-Rock était peu fréquentée. La route même qui conduit de Toledo à la bourgade de Hearly, quelques milles plus loin, s’en écarte à une certaine distance. Notre break, lorsqu’il arriverait à la hauteur de la crique, ne pouvait être aperçu du littoral. Après avoir atteint la pointe du bois qui la masque, il lui serait facile de s’abriter sous les arbres. De là, mes compagnons et moi, la nuit venue nous viendrions prendre poste sur la lisière du côté de l’Érié, et nous aurions toute facilité d’observer ce qui se ferait au fond de la crique.

D’ailleurs, Wells la connaissait bien, cette crique. Il l’avait plus d’une fois visitée, depuis son séjour à Toledo. Bordée de roches taillées presque à pic que battaient les eaux du lac, la profondeur sur tout son périmètre mesurait une trentaine de pieds.

L’Épouvante pouvait donc accoster, soit immergée, soit émergée, le fond de la crique. À deux ou trois endroits, ce littoral, coupé de brèches, se raccordait avec la grève sablonneuse qui s’étendait jusqu’à la lisière du petit bois sur une longueur de deux à trois cents pieds.

Il était sept heures du soir, lorsque notre break, après une halte à mi-chemin, atteignit l’extrémité du bois. Il faisait trop jour encore pour gagner, même à l’abri des arbres, le bord de la