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L’AURORE D’UN SIÈCLE DE DÉCOUVERTES.

pour tout dîner d'une poignée de dourrah (millet) et que tout son cortège se composait de deux dromadaires. En même temps que lui, deux Anglais, MM. Legh et Smelt, parcouraient le pays, semant l'or et les présents sous leurs pas, et rendant ainsi bien coûteuse la tâche de leurs successeurs. Burckhardt franchit les cataractes du Nil. «Un peu plus loin, dit la relation, près d'un endroit nommé Djebel-Lamoule, les guides arabes ont l'usage d'exiger un présent extraordinaire de celui qu'ils conduisent. Voici comment ils s'y prennent: ils font halte, mettent pied à terre, et forment un petit tas de sable et de cailloux à l'instar de celui que les Nubiens mettent sur leurs tombeaux; ils appellent cela creuser le tombeau du voyageur». Cette démonstration est suivie d'une demande impérieuse. M. Burckhardt, ayant vu son guide commencer cette opération, se mit tranquillement à l'imiter; puis il lui dit: «Voilà ton tombeau, car puisque nous sommes frères, il est juste que nous soyons enterrés ensemble.» L'Arabe ne put s'empêcher de rire; on détruisit réciproquement les travaux sinistres, et on remonta sur les chameaux, aussi bons amis qu'auparavant. L'Arabe cita le vers du Coran qui dit: «Aucun mortel ne connaît le coin de terre où sera creusé son tombeau.» Burckhardt aurait bien voulu pénétrer dans le Dongolah; mais il dut se contenter de recueillir des renseignements, d'ailleurs intéressants, sur le pays et sur les Mamelouks qui s'y étaient réfugiés après le massacre de cette puissante milice, ordonné par le pacha d'Égypte, exécuté par ses Arnautes. Les ruines de temples et de villes antiques arrêtent à chaque instant le voyageur; il n'en est pas de plus curieuses que celles d'Ibsamboul. «Le temple, dit la relation, placé immédiatement sur les bords du fleuve (le Nil), est précédé de six figures colossales debout, ayant, depuis le sol jusqu'aux genoux, six pieds et demi; elles reproduisent Isis et Osiris en diverses situations... Toutes les murailles et les chapiteaux des colonnes sont couverts de peintures ou de sculptures hiéroglyphiques, dans lesquelles Burckhardt crut reconnaître le style d'une haute antiquité. Tout cela est taillé dans le roc vif. Les figures paraissent avoir été peintes en jaune et les cheveux en noir. A deux cents yards de ce temple, on aperçoit les restes d'un monument encore plus colossal; ce sont quatre figures immenses, presque ensevelies dans les sables, de manière qu'on ne peut déterminer si elles sont debout ou assises...»

Mais à quoi bon nous attarder à la description de monuments aujourd'hui connus, mesurés, dessinés, photographiés? Les récits des voyageurs de cette