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LES VOYAGEURS DU XIXe SIÈCLE.

sa qualité de médecin, le pria de venir visiter son cheik, attaqué d’ophtalmie, qui demeurait sur le rivage oriental du lac de Tibériade.

Seetzen n’eut garde de refuser cette occasion, et bien lui en prit, car il observa à loisir la mer de Tibériade et la rivière Wady-Szemmak, non sans avoir risqué d’être dévalisé et assassiné par son guide. Il put enfin arriver à Tibériade, la Tabaria des Arabes, où Yusuf l’attendait depuis plusieurs jours.

« La ville de Tibériade, dit Seetzen, est située immédiatement sur les bords du lac de ce nom ; et du côté de la terre elle est entourée d’un bon mur de pierres de taille de basalte ; malgré cela, elle mérite à peine le nom de bourg. On n’y retrouve aucune trace de son antique splendeur, mais on reconnaît les ruines de l’ancienne ville qui s’étendent jusqu’aux bains chauds situés à une lieue vers l’est. Le fameux Djezar-Pacha a fait construire une salle de bains au-dessus de la source principale. Si ces bains étaient situés en Europe, ils obtiendraient probablement la préférence sur tous les bains connus. La vallée dans laquelle se trouve le lac, favorise, par la concentration de la chaleur, la végétation des dattiers, des citronniers, des orangers et de l’indigo, pendant que le terrain plus élevé pourrait fournir les productions des climats tempérés. »

À l’ouest de la pointe méridionale du lac gisent les débris de l’ancienne ville de Tarichæa. C’est là que commence la belle plaine El-Ghor, entre deux chaînes de montagnes, plaine peu cultivée, que parcourent des Arabes nomades.

Seetzen continua sans incident remarquable son voyage à travers la Décapole, si ce n’est qu’il dut se déguiser en mendiant pour échapper à la rapacité des indigènes.

« Je mis sur ma chemise, dit-il, un vieux kambas ou robe de chambre et par-dessus une vieille chemise bleue et déchirée de femme ; je me couvris la tête de quelques lambeaux et les pieds de savates. Un vieux abbaje en loques, jeté sur les épaules, me garantissait contre le froid et la pluie, et une branche d’arbre me servait de bâton. Mon guide, chrétien grec, prit à peu près le même costume, et c’est dans cet état que nous parcourûmes le pays pendant dix jours, souvent arrêtés par des pluies froides qui nous mouillèrent jusqu’à la peau. Je fus même obligé de marcher toute une journée, pieds nus, dans la boue, parce qu’il m’était impossible de me servir de mes savates sur cette terre grasse et toute détrempée par l’eau. »

Draa, qu’on rencontre un peu plus loin, n’est plus qu’un amas de ruines désertes, et l’on n’y trouve aucun reste des monuments qui la rendaient célèbre autrefois.