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LES PRÉCURSEURS DU CAPITAINE COOK.

purent voir, à l’Opéra, les comédies de Métastase représentées par une troupe de mulâtres, et entendre les chefs-d’œuvre des grands maîtres italiens, exécutés par un mauvais orchestre, que dirigeait un abbé bossu, en costume ecclésiastique.

Mais les bons procédés du comte d’Acunha ne durèrent pas. Bougainville, qui, avec la permission du vice-roi, avait acheté un senau, s’en vit, sans motifs, refuser la livraison. Il lui fut défendu de prendre dans le chantier royal les bois qui lui étaient nécessaires et pour lesquels il avait conclu un marché ; enfin, on l’empêcha de se loger avec son état-major, pendant le temps que durèrent les réparations de la Boudeuse, dans une maison voisine de la ville, qu’un particulier avait mise à sa disposition. Pour éviter toute altercation, Bougainville fit à la hâte ses préparatifs de départ.

Avant de quitter la capitale du Brésil, le commandant français entre dans quelques détails sur la beauté du port et le pittoresque de ses environs, et termine par une très-curieuse digression sur les richesses prodigieuses du pays, dont le port est l’entrepôt.

« Les mines appelées générales, dit-il, sont les plus voisines de la ville, dont elles sont distantes d’environ soixante-quinze lieues. Elles rendent au roi tous les ans, pour son droit de quint, au moins cent douze arobes d’or ; l’année 1762, elles en rapportèrent cent dix-neuf. Sous la capitainerie des mines générales, on comprend celles de Rio-des-Morts, de Sabara et de Sero-Frio. Cette dernière, outre l’or qu’on en retire, produit encore tous les diamants qui viennent du Brésil. Toutes ces pierres, excepté les diamants, ne sont point de contrebande ; elles appartiennent aux entrepreneurs, qui sont obligés de donner un compte exact des diamants trouvés et de les remettre entre les mains de l’intendant préposé par le roi à cet effet. Cet intendant les dépose aussitôt dans une cassette cerclée de fer et fermée avec trois serrures. Il a une des clés, le vice-roi une autre et le Provedor de hacienda reale la troisième. Cette cassette est renfermée dans une seconde, où sont posés les cachets des trois personnes mentionnées ci-dessus et qui contient les trois clefs de la première. Le vice-roi n’a pas le pouvoir de visiter ce qu’elle renferme. Il consigne seulement le tout à un troisième coffre fort, qu’il envoie à Lisbonne, après avoir apposé son cachet sur la serrure. »

Malgré toutes ces précautions et la sévérité avec laquelle étaient punis les voleurs de diamants, il se faisait une contrebande effrénée. Mais ce n’était pas la seule branche de revenus, et Bougainville calcule qu’en défalquant l’entretien des troupes, la solde des officiers civils et toutes les dépenses d’admi-