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LES PRÉCURSEURS DU CAPITAINE COOK.

allèges, qui entrent dans une petite rivière où des chariots viennent prendre les ballots pour les porter à la ville.

Ce qui donne à Buenos-Ayres un caractère original, c’est le grand nombre de ses communautés d’hommes et de femmes.

« L’année y est remplie, dit Bougainville, des fêtes de saints qu’on célèbre par des processions et des feux d’artifice. Les cérémonies du culte tiennent lieu de spectacles…. Les jésuites offraient à la piété des femmes un moyen de sanctification plus austère que les précédents. Ils avaient, attenant à leur couvent, une maison nommée casa de los ejercicios de las mujeres, c’est-à-dire maison des exercices des femmes. Les femmes et les filles, sans le consentement des maris ni des parents, venaient s’y sanctifier par une retraite de douze jours. Elles y étaient logées et nourries aux dépens de la compagnie. Nul homme ne pénétrait dans ce sanctuaire, s’il n’était revêtu de l’habit de Saint-Ignace ; les domestiques, même du sexe féminin, n’y pouvaient accompagner leurs maîtresses. Les exercices dans ce lieu saint étaient la méditation, la prière, les catéchismes, la confession et la flagellation. On nous a fait remarquer les murs de la chapelle encore teints du sang que faisaient, nous a-t-on dit, rejaillir les disciplines dont la pénitence armait les mains de ces Madeleines. »

Les environs de la ville étaient bien cultivés et égayés par un grand nombre de maisons de campagne appelées « quintas ». Mais, à deux ou trois lieues seulement de Buenos-Ayres, ce n’étaient plus que des plaines immenses, sans une ondulation, abandonnées aux taureaux et aux chevaux, qui en sont à peu près les seuls habitants. Ces animaux étaient en telle abondance, dit Bougainville, « que les voyageurs, lorsqu’ils ont faim, tuent un bœuf, en prennent ce qu’ils peuvent manger et abandonnent le reste, qui devient la proie des chiens sauvages et des tigres ».

Les Indiens qui habitent les deux rives de la Plata n’avaient encore pu être soumis par les Espagnols. Ils portaient le nom d’« Indios bravos. »

« Ils sont d’une taille médiocre, fort laids et presque tous galeux. Leur couleur est très basanée, et la graisse, dont ils se frottent continuellement, les rend encore plus noirs. Ils n’ont d’autre vêtement qu’un grand manteau de peau de chevreuil qui leur descend jusqu’aux talons et dans lequel ils s’enveloppent….. Ces Indiens passent leur vie à cheval, du moins auprès des établissements espagnols. Ils viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l’eau-de-vie, et ils ne cessent d’en boire que quand l’ivresse les laisse absolument sans mouvement… Quelquefois, ils s’assemblent en troupe de deux ou trois cents pour venir enlever des bestiaux sur les terres des Espagnols, ou