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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

porta un petit sac de peau de loup de mer où était une graisse rouge dont il frotta le visage du joueur de violon. Il aurait bien souhaité me faire le même honneur, auquel je me refusai ; mais il fit tous ses efforts pour vaincre ma modestie, et j’eus toutes les peines du monde à me défendre de recevoir la marque d’estime qu’il voulait me donner. »

Il n’est pas inutile de rapporter ici l’opinion de Byron, marin expérimenté, sur les avantages et les inconvénients qu’offre la traversée du détroit de Magellan. Il n’est pas d’accord avec la plupart des autres navigateurs qui ont visité ces parages.

« Les dangers et les difficultés que nous avons essuyés, dit-il, pourraient faire croire qu’il n’est pas prudent de tenter ce passage et que les vaisseaux qui partent d’Europe, pour se rendre dans la mer du Sud, devraient tous doubler le cap Horn. Je ne suis point du tout de cette opinion, quoique j’aie doublé deux fois le cap Horn. Il est une saison de l’année où, non pas un seul vaisseau, mais toute une flotte peut en trois semaines traverser le détroit, et, pour profiter de la saison la plus favorable, il convient d’y entrer dans le mois de décembre. Un avantage inestimable, qui doit toujours décider les navigateurs, est qu’on y trouve en abondance du céleri, du cochlearia, des fruits, et plusieurs autres végétaux anti-scorbutiques… Les obstacles que nous eûmes à vaincre et qui nous retinrent dans le détroit, du 17 février au 8 avril, ne peuvent être imputés qu’à la saison de l’équinoxe, saison ordinairement orageuse, et qui, plus d’une fois, mit notre patience à l’épreuve. »

Jusqu’au 26 avril, jour où il eut connaissance de Mas-a-fuero, l’une des îles du groupe de Juan-Fernandez, Byron avait fait route au N.-O. Il s’empressa d’y débarquer quelques matelots, qui, après avoir fait provision d’eau et de bois, chassèrent des chèvres sauvages, auxquelles ils trouvèrent un goût aussi délicat qu’à la meilleure venaison d’Angleterre.

Durant cette relâche, il se produisit un fait assez singulier. Un violent ressac brisait sur la côte et empêchait les embarcations d’approcher la grève. Bien qu’il fût muni d’une ceinture de sauvetage, l’un des matelots débarqués, qui ne savait pas nager, ne voulut jamais se jeter à la mer pour regagner la chaloupe. Menacé d’être abandonné sur cette île déserte, il se refusait énergiquement à se risquer, lorsqu’un de ses camarades vint lui passer adroitement, autour du corps, une corde à laquelle il avait fait un nœud coulant et dont l’autre bout était resté dans la chaloupe. Lorsqu’il y arriva, le malheureux avait avalé, dit la relation d’Hawkesworth, une si grande quantité d’eau, qu’en le retirant il paraissait être sans vie. On le suspendit par les pieds ; il reprit bientôt ses sens, et, le jour sui-