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LES DEUX AMÉRIQUES.

à guérir. Il fallait un tempérament d’une vigueur exceptionnelle pour résister aux fatigues, aux privations, aux préoccupations de tout genre qui assaillent les voyageurs dans ces contrées meurtrières. Être entouré continuellement de tigres et de crocodiles féroces, avoir le corps meurtri par les piqûres de formidables mosquitos ou de fourmis, n’avoir pendant trois mois d’autres aliments que de l’eau, des bananes, du poisson et du manioc, traverser le pays des Otomaques, qui mangent de la terre, descendre sous l’équateur les bords du Casiquiare, où pendant cent trente lieues de chemin on ne voit pas une âme humaine, le nombre n’est pas grand de ceux qui peuvent surmonter ces fatigues et ces périls, mais encore moins nombreux sont ceux qui, sortis victorieux de la lutte, ont assez de courage et de force pour l’affronter de nouveau. »

Nous avons vu quelle importante découverte géographique avait récompensé la ténacité des explorateurs, qui venaient de parcourir tout le pays situé au nord de l’Amazone, entre le Popayan et les montagnes de la Guyane française. Les résultats obtenus dans toutes les autres sciences n’étaient pas moins nombreux et moins nouveaux.

Humboldt avait constaté que, chez les Indiens du haut Orénoque et du Rio-Negro, il existe des peuplades extraordinairement blanches, qui constituent une race très différente de celles de la côte. En même temps, il avait observé la tribu si curieuse des Otomaques.

« Cette nation, dit Humboldt, hideuse par les peintures qui défigurent son corps, mange, lorsque l’Orénoque est très haut et que l’on n’y trouve plus de tortues, pendant trois mois, rien ou presque rien que de la terre glaise. Il y a des individus qui mangent jusqu’à une livre et demie de terre par jour. Il y a des moines qui ont prétendu qu’ils mêlaient la terre avec le gras de la queue du crocodile ; mais cela est très faux. Nous avons trouvé chez les Otomaques des provisions de terre pure qu’ils mangent ; ils ne lui donnent d’autre préparation que de la brûler légèrement et de l’humecter. »

Parmi les plus curieuses découvertes que Humboldt avait encore faites, il faut citer celles du « curare », ce poison si violent qu’il avait vu fabriquer chez les Indiens Catarapeni et Maquiritares, et dont il envoyait un échantillon à l’Institut, et le « dapiche », qui est un état de la gomme élastique jusqu’alors inconnu. C’est la gomme qui s’est échappée naturellement des racines des deux arbres, le « jacio » et le « cucurma », et qui s’est séchée dans la terre.

Ce premier voyage de Humboldt finit par l’exploration des provinces méridionales de Saint-Domingue et de la Jamaïque, et par un séjour à Cuba, où les deux voyageurs tentèrent différentes expériences pour améliorer la fabri-