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LES DEUX AMÉRIQUES.

Hearne repart au mois d’avril, continue jusqu’en août à courir les bois, et se prépare à passer l’hiver auprès d’une tribu indienne qui l’a bien accueilli, lorsqu’un accident, qui le prive de son quart de cercle le force à continuer sa route.

Les privations, les misères, les déceptions n’ébranlent pas l’indomptable courage de Samuel Hearne. Il repart le 7 décembre, et, s’enfonçant dans l’ouest sous le soixantième degré de latitude, il rencontre une rivière. Le voilà construisant un canot et descendant ce cours d’eau, qui se jette dans une série interminable de lacs grands et petits. Enfin, le 13 juillet 1771, il atteint la rivière de Cuivre. Les Indiens qui l’accompagnaient se trouvaient depuis quelques semaines sur les territoires fréquentés par les Esquimaux, et se promettaient, s’ils en rencontraient, de les massacrer jusqu’au dernier.

Cet événement ne devait pas se faire attendre.

« Voyant, dit Hearne, tous les Esquimaux livrés au repos dans leurs tentes, les Indiens sortirent de leur embuscade et tombèrent à l’improviste sur ces pauvres créatures ; je contemplais ce massacre, réduit à rester neutre. »

Des vingt individus qui composaient cette tribu, pas un n’échappa à la rage sanguinaire des Indiens, et ils firent périr dans les plus épouvantables tortures une vieille femme qui avait tout d’abord échappé an massacre.

« Après cet horrible carnage, continue Hearne, nous nous assîmes sur l’herbe et fîmes un bon repas de saumon frais. »

En cet endroit, la rivière s’élargissait singulièrement. Le voyageur était-il donc arrivé à son embouchure ? Pourtant l’eau était absolument douce. Sur le rivage, paraissaient, cependant, comme les traces d’une marée. Des phoques se jouaient en grand nombre au milieu des eaux. Quantité de barbes de baleine avaient été trouvées dans les tentes des Esquimaux. Tout se réunissait enfin pour donner à penser que c’était la mer. Hearne saisit son télescope. Devant lui se déroule à perte de vue une immense nappe d’eau, interrompue, de place en place, par des îles. Plus de doute, c’est la mer.

Le 30 juin 1772, Hearne ralliait les établissements anglais, après une absence qui n’avait pas duré moins d’un an et cinq mois.

La Compagnie reconnut l’immense service que Hearne venait de lui rendre en le nommant gouverneur du fort de Galles. Pendant son expédition à la baie d’Hudson La Pérouse s’empara de cet établissement et y trouva le journal de voyage de Samuel Hearne. Le navigateur français le lui rendit à la condition qu’il le publierait. Vous ne savons quelles circonstances ont retardé, jusqu’en 1795, l’accomplissement de la parole que le voyageur anglais avait donnée au marin français.