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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

servent surtout pour la chasse des kanguros, dont ils font leur nourriture, ainsi que du poisson, que je leur ai vu, moi-même, darder avec leurs sagaies. Ils burent du café, mangèrent du biscuit et du bœuf salé ; mais ils refusèrent de manger du lard que nous leur offrîmes et le laissèrent sur des pierres sans y toucher.

« Ces hommes sont grands, maigres et très agiles ; ils ont les cheveux longs, les sourcils noirs, le nez court, épaté et renfoncé à sa naissance, les yeux caves, la bouche grande, les lèvres saillantes, les dents très belles et très blanches. L’intérieur de leur bouche paraissait noir comme l’extérieur de leur corps.

« Les trois plus âgés d’entre eux, qui pouvaient avoir de quarante à cinquante ans, portaient une grande barbe noire ; ils avaient les dents comme limées et la cloison des narines percée ; leurs cheveux étaient taillés en rond et naturellement bouclés. Les deux autres, que nous jugeâmes être âgés de seize à dix-huit ans, n’offraient aucune espèce de tatouage ; leur longue chevelure était réunie en un chignon poudré d’une terre rouge dont les vieux avaient le corps frotté.

« Du reste, tous étaient nus et ne portaient d’autre ornement qu’une espèce de large ceinture composée d’une multitude de petits cordons tissus de poil de kanguro. Ils parlent avec volubilité et chantent par intervalles, toujours sur le même ton, et en s’accompagnant des mêmes gestes. Malgré la bonne intelligence qui ne cessa de régner entre nous, ils ne voulurent jamais nous permettre d’aller vers l’endroit où les autres naturels, probablement leurs femmes, s’étaient allés cacher. »

À la suite d’une relâche de douze jours dans le port du Roi-Georges, les navigateurs reprirent la mer. Ils rectifièrent et complétèrent les cartes de d’Entrecasteaux et de Vancouver, relatives aux terres de Leuwin, d’Edels et d’Endracht, qui furent successivement prolongées et relevées du 7 au 26 mars. De là, Baudin passa à la terre de Witt, dont les détails étaient presque entièrement inconnus, lorsqu’il l’avait abordée pour la première fois. Il espérait être plus heureux que de Witt, Vianen, Dampier et Saint-Allouarn, qui avaient été constamment repoussés de cette terre ; mais les hauts-fonds, les récifs, les bancs de sable rendaient cette navigation extrêmement dangereuse.

À ces périls vint bientôt se joindre une illusion singulière, le mirage. L’effet en était tel, que « le Géographe, qui naviguait à plus d’une lieue des brisants, paraissait en être environné de toutes parts, et qu’il n’était personne, à bord du Casuarina, qui ne le crût dans un péril imminent. La magie de l’illusion ne fut détruite que par son excès même. »

Le 3 mai, le Géographe, accompagné du Casuarina, jetait pour la seconde fois l’ancre dans le port de Coupang, à Timor. Juste un mois plus tard, après s’être