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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

d’Europe, depuis huit mois, sous les ordres de Flinders, dans le but de compléter la reconnaissance de la Nouvelle-Hollande. Depuis trois mois, Flinders explorait la côte ; il avait eu autant à souffrir que les Français des ouragans et des tempêtes ; l’une des dernières lui avait fait perdre, dans le détroit de Rass, son canot avec huit hommes et son premier officier.

Le cap Crétet, la presqu’île Fleurieu, longue de vingt milles environ, le golfe Saint-Vincent, ainsi nommé par Flinders, l’île des Kanguros, les îles Altorpe, le golfe Spencer, sur la côte occidentale duquel se trouve le port Lincoln, un des plus beaux et des plus sûrs que possède la Nouvelle-Hollande, les îles Saint-François et Saint-Pierre, furent tour à tour visités par le Géographe. Certes, pour compléter cette campagne hydrographique, il eût été nécessaire de pénétrer, comme le réclamaient les instructions nautiques données au capitaine Baudin, derrière les îles Saint-Pierre et Saint-François ; mais les tempêtes s’y opposèrent, et ce devait être la tâche d’une nouvelle campagne.

Le scorbut, d’ailleurs, continuait à faire d’effrayants ravages dans les rangs des explorateurs. Plus de la moitié des matelots étaient incapables de service. Deux des timoniers étaient seuls debout. Comment en aurait-il été autrement, sans vin, sans eau-de-vie, alors qu’on n’avait pour se désaltérer qu’une eau putride et insuffisante, que du biscuit criblé de larves d’insectes, que des salaisons pourries, dont le goût et l’odeur suffisaient à lever le cœur ?

D’ailleurs l’hiver commençait pour les régions australes. L’équipage avait le besoin le plus pressant du repos. Le point de relâche le plus voisin était Port-Jackson, la route la plus courte pour y parvenir, le détroit de Bass. Baudin, qui semble n’avoir jamais voulu suivre les sentiers frayés, en jugea autrement et donna l’ordre de doubler l’extrémité méridionale de la terre de Diemen.

Le 20 mai, l’ancre fut jetée dans la baie de l’Aventure. Les malades en état de marcher furent portés à terre, et l’on y fit aisément l’eau nécessaire. Mais déjà ces mers orageuses n’étaient plus tenables ; une brume épaisse les enveloppait, et l’on n’était averti du voisinage de la côte que par le bruit effrayant des lames énormes qui déferlaient sur les rochers. Le nombre des malades augmentait. Chaque jour, l’Océan engloutissait quelque nouvelle victime. Le 4 juin, il ne restait plus que six hommes en état de se tenir sur le pont, et jamais la tempête n’avait été plus terrible. Et cependant le Géographe parvint encore une fois à échapper au péril !

Le 17 juin, fut signalé un navire qui apprit aux navigateurs que le Naturaliste, après avoir attendu sa conserve à Port-Jackson, était parti à sa recherche, que le canot abandonné avait été recueilli par un navire anglais et que son équi-