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LES NAVIGATEURS FRANÇAIS.

Ce n’est pas, d’ailleurs, sur ce seul point que le voyageur français n’est pas d’accord avec le capitaine Cook. Il croit que ces fameuses statues, dont un de ses dessinateurs prit une vue très intéressante, pourraient être l’œuvre de la génération alors vivante, dont il estimait le nombre à deux mille personnes. Il lui parut aussi que le défaut absolu d’arbres et, par cela même, de lacs et de ruisseaux, provenait de l’exploitation exagérée des forêts par les anciens habitants. Au reste, nul incident désagréable ne vint marquer cette relâche. Les vols, il est vrai, furent fréquents ; mais les Français, ne devant rester qu’une journée dans cette île, jugèrent superflu de donner à la population des idées plus précises sur la propriété.

En quittant l’île de Pâques, le 10 avril, La Pérouse suivit à peu près la même route que Cook en 1777, lorsqu’il fit voile de Taïti pour la côte d’Amérique ; mais il était à cent lieues plus dans l’ouest. La Pérouse se flattait de faire quelque découverte dans cette partie peu connue de l’océan Pacifique, et il avait promis une récompense au matelot qui le premier apercevrait la terre.

Le 29 mai, l’archipel Hawaï fut atteint.

Les montres marines furent d’un très grand secours en cette circonstance et rectifièrent l’estime. La Pérouse, en arrivant aux îles Sandwich, trouva cinq degrés de différence entre la longitude estimée et la longitude observée. Sans les montres, il aurait placé ce groupe cinq degrés trop à l’est. Cela explique que toutes les îles découvertes par les Espagnols, Mendana, Quiros, etc., sont beaucoup trop rapprochées des côtes d’Amérique. Il en conclut aussi à la non-existence du groupe appelé par les espagnols la Mesa, los Majos, la Disgraciada. Il y a d’autant plus de raisons de considérer ce groupe comme n’étant autre que les Sandwich, que Mesa veut dire table en espagnol et que le capitaine King compare la montagne appelée Mauna-Loa à un plateau, table-land. D’ailleurs, il ne s’en était pas tenu à ces raisons spéculatives, il avait croisé sur l’emplacement attribué à los Majos et n’avait pas trouvé la moindre apparence d’une terre.

« L’aspect de Mowée, dit La Pérouse, était ravissant... Nous voyions l’eau se précipiter en cascades de la cime des montagnes et descendre à la mer, après avoir arrosé les habitations des Indiens ; elles sont si multipliées qu’on pourrait prendre un espace de trois à quatre lieues pour un seul village. Mais toutes les cases sont sur le bord de la mer, et les montagnes en sont si rapprochées, que le terrain habitable m’a paru avoir moins d’une demi-lieue de profondeur. Il faut être marin, et être réduit comme nous, dans ces climats brûlants, à une bouteille d’eau par jour, pour se faire une idée des sensations que nous