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LES NAVIGATEURS FRANÇAIS.

saient aucune autre autorité. Le pays est si fertile, qu’ils pouvaient subsister sans aucun secours des colonies voisines. Les vaisseaux qui relâchaient chez eux ne leur donnaient, en échange de leurs provisions, que des habits et des chemises, dont ils manquaient absolument. »

Cette île, en effet, est extrêmement fertile, et le sol se serait facilement prêté à la culture de la canne à sucre ; mais l’extrême pauvreté des habitants les empêchait d’acheter les esclaves nécessaires.

Les bâtiments français trouvèrent en cet endroit tout ce dont ils avaient besoin, et leurs officiers reçurent un accueil empressé des autorités portugaises.

« Le fait suivant donnera une idée de l’hospitalité de ce bon peuple. Mon canot, dit La Pérouse, ayant été renversé par la lame dans une anse où je faisais couper du bois, les habitants, qui aidèrent à le sauver, forcèrent nos matelots naufragés à se mettre dans leurs lits, et couchèrent à terre sur des nattes au milieu de la chambre où ils exerçaient cette touchante hospitalité. Peu de jours après, ils rapportèrent à mon bord, les voiles, les mâts, le grappin et le pavillon de ce canot, objets très précieux pour eux et qui leur auraient été de la plus grande utilité dans leurs pirogues. »

La Boussole et l’Astrolabe levèrent l’ancre le 10 novembre, dirigeant leur course vers le cap Horn. À la suite d’un violent orage, pendant lequel les frégates se comportèrent fort bien, et après quarante jours de recherches infructueuses de l’île Grande découverte par le Français Antoine de La Roche et nommée Georgie par le capitaine Cook, La Pérouse traversa le détroit de Lemaire. Trouvant les vents favorables dans cette saison avancée, il se détermina à éviter une relâche dans la haie de Bon-Succès et à doubler immédiatement le cap Horn, afin d’épargner un retard possible, qui aurait exposé ses vaisseaux à des avaries et ses équipages à des fatigues inutiles.

Les démonstrations amicales des Fuégiens, l’abondance des baleines, qui n’avaient pas encore été inquiétées, les vols immenses d’albatros et de pétrels ne purent changer la détermination du commandant. Le cap Horn fut doublé avec beaucoup plus de facilité qu’on n’aurait osé l’espérer. Le 9 février, l’expédition se trouvait par le travers du détroit de Magellan, et, le 24, elle jetait l’ancre dans le port de la Concepcion, — relâche que La Pérouse avait dû préférer à celle de Juan Fernandez, à cause de l’épuisement de ses vivres. La santé florissante des équipages surprit le commandant espagnol. Jamais peut-être aucun vaisseau n’avait doublé le cap Horn et n’était arrivé au Chili sans avoir de malades, et il n’y en avait pas un seul sur les deux bâtiments.