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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

Gore, un autre officier, nommé Burney, et Maï, débarquèrent, seuls et sans armes, au risque d’être maltraités.

Reçus avec solennité, conduits, au milieu d’une haie d’hommes portant la massue sur l’épaule, auprès de trois chefs dont les oreilles étaient ornées de plumes rouges, ils aperçurent bientôt une vingtaine de femmes, qui dansaient sur un air d’un mode grave et sérieux et ne firent aucune attention à leur arrivée. Séparés les uns des autres, les officiers ne tardèrent pas à s’apercevoir que les naturels s’efforçaient de vider leurs poches, et ils commençaient à craindre pour leur sûreté, lorsqu’ils furent rejoints par Maï. Ils furent ainsi retenus toute la journée et mainte fois forcés d’ôter leurs vêtements pour que les naturels pussent examiner de près la couleur de leur peau ; mais enfin la nuit arriva sans incident désagréable, et les visiteurs regagnèrent leur chaloupe, où leur furent apportées des noix de coco, des bananes et d’autres provisions. Peut-être les Anglais durent-ils leur salut à la description que Maï avait faite de la puissance des armes à feu, et à l’expérience qu’il fit devant les indigènes d’enflammer la poudre d’une cartouche.

Maï avait rencontré trois de ses compatriotes au milieu de la foule qui se pressait sur le rivage. Partis sur une pirogue, au nombre de vingt, pour se rendre à Ulitea, ces Taïtiens avaient été jetés hors de leur route par un vent impétueux. La traversée devant être courte, ils n’avaient guère emporté de vivres. Aussi, la fatigue et la faim avaient-elles réduit l’équipage à quatre hommes à demi morts, lorsque la pirogue chavira. Ces naufragés eurent cependant la force de saisir les bordages de l’embarcation et de s’y cramponner jusqu’à ce qu’ils eussent été recueillis par les habitants de cette Wateroo. Il y avait douze ans que les hasards de la mer les avaient jetés sur cette côte, éloignée de plus de deux cents lieues de leur île. Ils avaient contracté des liens de famille et des liaisons d’amitié avec ces peuples, dont les mœurs et le langage étaient conformes aux leurs. Aussi refusèrent-ils de regagner Taïti.

« Ce fait, dit Cook, peut servir à expliquer, mieux que tous les systèmes, comment toutes les parties détachées du globe, et en particulier les îles de la mer Pacifique, ont pu être peuplées, surtout celles qui sont éloignées de tout continent, et à une grande distance les unes des autres. »

Cette île Wateroo gît par 20° 1′ de latitude sud et 201° 45′ de longitude orientale.

Les deux bâtiments gagnèrent ensuite une île voisine, appelée Wenooa, sur laquelle M. Gore débarqua pour y prendre du fourrage. Elle était inhabitée, quoiqu’on y vît des débris de huttes et des tombeaux.