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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

un ancrage sûr dans le canal de Noël, dont il fit avec son soin habituel la reconnaissance hydrographique.

La chasse procura quelques oiseaux, et M. Pirkersgill rapporta au navire trois cents œufs d’hirondelles de mer et quatorze oies. « Je pus ainsi, dit Cook, en distribuer à tout l’équipage, ce qui fit d’autant plus de plaisir aux matelots que Noël approchait ; sans cette heureuse circonstance, ils n’auraient eu pour régal que du bœuf et du porc salés. »

Quelques naturels, appartenant à la nation que Bougainville avait appelée Pécherais, montèrent à bord, sans qu’il fût besoin de beaucoup les presser. Ces sauvages, Cook nous les dépeint sous des couleurs qui rappellent celles qu’avait employées le navigateur français. De la chair de veau marin pourrie dont ils se nourrissaient, ils préféraient la partie huileuse, sans doute, remarque le capitaine, parce que cette huile échauffe leur corps contre la rigueur du froid.

« Si jamais, ajoute-t-il, on a pu révoquer en doute la prééminence de la vie civilisée sur la vie sauvage, la vue seule de ces Indiens suffirait pour déterminer la question. Jusqu’à ce qu’on me prouve qu’un homme tourmenté continuellement par la rigueur du climat est heureux, je ne crois point aux déclamations éloquentes des philosophes, qui n’ont pas eu l’occasion de contempler la nature humaine dans toutes ses modifications, ou qui n’ont pas senti ce qu’ils ont vu. »

La Résolution ne tarda pas à reprendre la mer et à doubler le cap Horn ; puis, elle traversa le détroit de Lemaire et reconnut la Terre des États, où elle rencontra un bon mouillage. Ces parages étaient animés par une quantité prodigieuse de baleines, dont c’était la saison de l’appariage, par des veaux et des lions de mer, par des pingouins et des nigauts en vols innombrables.

« Nous manquâmes, le docteur Sparrman et moi, dit Forster, d’être attaqués par un de ces vieux ours de mer, sur un rocher où il y en avait plusieurs centaines de rassemblés, qui semblaient tous attendre l’issue du combat. Le docteur avait tiré son coup de fusil sur un oiseau, et il allait le ramasser, lorsque le vieil ours gronda, montra les dents et parut se disposer à s’opposer à mon camarade. Dès que je fus assis, j’étendis l’animal raide mort d’un coup de fusil, et, au même instant, toute la troupe, voyant son champion terrassé, s’enfuit du côté de la mer. Plusieurs s’y jetèrent avec tant de hâte, qu’ils sautèrent à dix ou quinze verges perpendiculaires sur des rochers pointus. Je crois qu’ils ne se firent point de mal, parce que leur peau est très dure et que leur graisse, très élastique, se prête aisément à la compression. »

Après avoir quitté la Terre des États, le 3 janvier, Cook fit voile au sud-est,