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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

poursuite. Le capitaine regretta beaucoup que la discipline le forçât d’agir ainsi, car, si cet homme, qui n’avait ni parents ni amis en Angleterre, lui avait demandé la permission de rester à Taïti, il ne la lui aurait pas refusée.

Le 15 mai, la Résolution mouilla au havre O-Wharre, à l’île Huaheine. Le vieux chef Orée fut un des premiers à féliciter les Anglais de leur retour et à leur apporter les présents de bienvenue. Le capitaine lui fit cadeau de plumes rouges ; mais, ce que semblait préférer le vieux chef, c’était le fer, les haches et les clous. Il semblait plus indolent qu’à la première visite ; sa tête était bien affaiblie, ce qu’il faut sans doute attribuer au goût immodéré qu’il montrait pour la boisson enivrante que ces naturels tirent du poivrier. Son autorité semblait aussi de plus en plus méprisée ; il fallut que Cook se mît à la poursuite d’une bande de voleurs, réfugiés au centre de l’île, dans les montagnes, qui ne craignaient pas de piller le vieux chef lui-même.

Orée se montra reconnaissant des bons procédés qu’avaient toujours eus les Anglais à son égard. Il quitta le dernier le vaisseau quand celui-ci mit à la voile, le 21 avril, et, lorsque Cook lui eut dit qu’ils ne se reverraient plus, il se prit à pleurer, et répondit : « Laissez venir ici vos enfants, nous les traiterons bien. »

Une autre fois, Orée avait demandé au capitaine le nom du lieu où il serait enterré. « Stepney, » répondit Cook. Orée le pria de répéter ce mot jusqu’à ce qu’il fût en état de le prononcer. Alors cent individus s’écrièrent à la fois : « Stepney, moraï no Toote ! Stepney, le tombeau de Cook ! » Le grand navigateur ne se doutait guère, en faisant cette réponse, du triste sort qui l’attendait et de la peine que ses compatriotes auraient à retrouver ses restes !

Œdidi, qui avait fini par venir à Huaheine avec les Anglais, n’avait pas trouvé le même accueil empressé qu’à Taïti. D’ailleurs ses richesses étaient singulièrement diminuées, et son crédit s’en ressentait.

« Il vérifiait bien, dit la relation, la maxime qu’on n’est jamais prophète dans sa patrie... Il nous quitta avec des regrets qui montraient bien son estime pour nous ; lorsqu’il fallut nous séparer, il courut de chambre en chambre pour embrasser tout le monde. Enfin, je ne puis pas décrire les angoisses qui remplirent l’âme de ce jeune homme, quand il s’en alla ; il regardait le vaisseau, il fondit en larmes et se coucha de désespoir au fond de sa pirogue. En sortant des récifs, nous le vîmes encore qui étendait ses bras vers nous. »

Le 6 juin, Cook reconnut l’île Hove de Wallis, appelée Mohipa par les indigènes ; puis, quelques jours après, un groupe de plusieurs îlots inhabités, entourés d’une chaîne de brisants, auxquels on donna le nom de Palmerston, en l’honneur d’un des lords de l’Amirauté.