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SECOND VOYAGE DU CAPITAINE COOK.

qui leur servait de table ; elles nous montrèrent aussi, dans une grosse noix de coco, une espèce d’eau glutineuse, dont elles se servaient de temps à autre afin de coller ensemble les pièces de l’écorce. Cette colle, qui, à ce que nous comprîmes, vient de l’hibiscus esculentus, est absolument nécessaire dans la fabrique de ces immenses pièces d’étoffe qui, ayant quelquefois deux ou trois verges de large et cinquante de long, sont composées de petits morceaux d’écorce d’arbre d’une très petite épaisseur… Les femmes occupées à ce travail portaient de vieux vêtements sales et déguenillés, et leurs mains étaient très dures et très calleuses. »

Le même jour, Forster aperçut un homme qui portait des ongles extrêmement longs, ce dont il était très fier, comme d’une preuve qu’il n’était pas obligé de travailler pour vivre. Dans l’empire d’Annam, en Chine, dans bien d’autres contrées, cette manie singulière et puérile a été signalée. Un seul doigt est pourvu d’un ongle moins long ; c’est celui qui sert à se gratter, occupation très fréquente dans tous les pays d’extrême Orient.

Pendant une autre de ses promenades, Forster vit un insulaire mollement étendu sur un tapis d’herbe épaisse, qui passait sa journée à se faire gaver par ses femmes. Ce triste personnage, qui s’engraissait sans rendre aucun service à la société, rappela au naturaliste anglais la colère de sir John Mandeville, s’indignant de voir « un pareil glouton qui consumait ses jours sans se distinguer par aucun fait d’armes, et qui vivait dans le plaisir comme un cochon qu’on engraisse dans une étable. »

Le 22 août, Cook, ayant appris que le roi Waheatua était dans le voisinage et manifestait le désir de le voir, descendit à terre avec le capitaine Furneaux, MM. Forster et plusieurs naturels. Il le rencontra qui venait au-devant de lui avec une nombreuse suite, et le reconnut aussitôt, car il l’avait vu plusieurs fois en 1769.

Ce roi était alors enfant et s’appelait Té-Arée, mais il avait changé de nom à la mort de son père Waheatua. Il fit asseoir le capitaine sur son tabouret, et s’informa avec sollicitude de plusieurs Anglais qu’il avait fréquentés au précédent voyage. Cook, après les compliments ordinaires, lui fit présent d’une chemise, d’une hache, de clous et d’autres bagatelles ; mais, de tous ces cadeaux, celui qui sembla le plus précieux et qui excita de la part des naturels des cris d’admiration, ce fut une touffe de plumes rouges, montée sur un fil d’archal.

Waheatua, roi de la petite Taïti, pouvait être âgé de dix-sept ou dix-huit ans. Grand, bien fait, il aurait eu l’air majestueux, si l’expression habituelle de sa physionomie n’eût été celle de la crainte et de la méfiance. Il était entouré de