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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

ils se trouvèrent à l’île de Florès, la plus occidentale des Açores, quand ils croyaient en être à plus de cent cinquante lieues à l’est ; il leur fallut naviguer encore douze jours vers l’est pour arriver aux côtes de France. »

Les rectifications apportées à la carte de France furent considérables, comme nous l’avons dit plus haut. On reconnut que Perpignan et Collioures, notamment, se trouvaient être beaucoup plus à l’est qu’on ne le supposait. Au reste, pour s’en faire une idée bien nette, il suffit de regarder la carte de France publiée dans la première partie du tome VII des Mémoires de l’Académie des Sciences. Il y est tenu compte des observations astronomiques dont nous venons de parler, et l’ancien tracé de la carte, publiée par Sanson en 1679, y rend sensibles les modifications apportées.

Cassini proclamait avec raison que la cartographie n’était plus à la hauteur de la science. En effet, Sanson avait suivi aveuglément les longitudes de Ptolémée, sans tenir compte des progrès des connaissances astronomiques. Ses fils et ses petits-fils n’avaient fait que rééditer ses cartes en les complétant, et les autres géographes se traînaient dans la même ornière. Le premier, Guillaume Delisle, construisit de nouvelles cartes, en mettant à profit les données modernes et rejeta de parti pris tout ce qu’on avait fait avant lui. Son ardeur fut telle, qu’il avait entièrement exécuté ce projet à vingt-cinq ans. Son frère, Joseph-Nicolas, enseignait l’astronomie en Russie, et envoyait à Guillaume des matériaux pour ses cartes. Pendant ce temps, Delisle de la Coyère, son dernier frère, visitait les côtes de la mer Glaciale, fixait astronomiquement la position des points les plus importants, s’embarquait sur le vaisseau de Behring et mourait au Kamtchatka.

Voilà ce que furent les trois Delisle. Mais à Guillaume revient la gloire d’avoir révolutionné la cartographie.

« Il parvint, dit Cooley, à faire concorder les mesures anciennes et modernes et à combiner une masse plus considérable de documents ; au lieu de limiter ses corrections à une partie du globe, il les étendit au globe entier, ce qui lui donne un droit très positif à être regardé comme le créateur de la géographie moderne. Pierre le Grand, à son passage à Paris, lui rendit hommage, en le visitant pour lui donner tous les renseignements qu’il possédait lui-même sur la géographie de la Russie. »

Est-il rien de plus concluant que ce témoignage d’un étranger ? Et, si nos géographes sont dépassés aujourd’hui par ceux de l’Allemagne et de l’Angleterre, n’est-ce pas une consolation et un encouragement de savoir que nous avons excellé dans une science où nous travaillons à reprendre notre ancienne supériorité ?