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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

Qu’elle est triste, cette facilité de tous les navigateurs à abuser de leur puissance ! Cette manie de la destruction, sans aucun mobile, sans nécessité, sans attrait même, ne soulève-t-elle pas l’indignation ? À quelque nation qu’appartiennent les explorateurs, nous les voyons commettre les mêmes actes. Ce n’est donc pas à tel ou tel peuple qu’il faut faire ce reproche de cruauté, mais bien à l’humanité tout entière.

Après s’être procuré les ressources dont il avait besoin, Bougainville reprit la mer.

Il semble que ce navigateur ait tenu surtout à faire beaucoup de découvertes, car toutes les terres qu’il rencontre, il les reconnaît très superficiellement, à la hâte, et de toutes les cartes, pourtant assez nombreuses, qui illustrent sa relation de voyage, il n’en est aucune qui embrasse en entier un archipel, qui résolve les diverses questions que peut faire naître une nouvelle découverte. Ce n’est pas ainsi que devait procéder le capitaine Cook. Ses explorations, toujours conduites avec soin, avec une persévérance très rare, l’ont, par cela même, classé bien au-dessus du navigateur français.

Ces terres, que les Français venaient de rencontrer, n’étaient autres que les îles du Saint-Esprit, de Mallicolo, avec Saint-Barthélemy et les îlots qui en dépendent. Bien qu’il eût parfaitement reconnu l’identité de ce groupe avec la Tierra del Espiritu-Santo de Quiros, Bougainville ne put se dispenser de lui donner un nouveau nom, et l’appela archipel des « Grandes-Cyclades », — dénomination à laquelle on a préféré celle de « Nouvelles-Hébrides ».

« Je croirais volontiers, dit-il, que c’est son extrémité septentrionale que Roggewein a vue sous le onzième parallèle, et qu’il a nommée Thienhoven et Groningue. Pour nous, quand nous y atterrîmes, tout devait nous persuader que nous étions à la Terre australe du Saint-Esprit. Les apparences semblaient se conformer au récit de Quiros, et ce que nous découvrions chaque jour encourageait nos recherches. Il est bien singulier que, précisément par la même latitude et la même longitude où Quiros place sa grande baie de Saint-Jacques et Saint-Philippe, sur une côte qui paraissait, au premier coup d’œil, celle d’un continent, nous ayons trouvé un passage de largeur égale à celle qu’il donne à l’ouverture de sa baie. Le navigateur espagnol a-t-il mal vu ? A-t-il voulu masquer ses découvertes ? Les géographes avaient-ils deviné, en faisant de la Terre du Saint-Esprit un même continent avec la Nouvelle-Guinée ? Pour résoudre ce problème, il fallait suivre encore le même parallèle pendant plus de 350 lieues. Je m’y déterminai, quoique l’état et la quantité de nos vivres nous avertissent d’aller promptement chercher quelque établissement européen.