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les tribulations d’un chinois en chine

Ah ! que mon cœur, souvent,
Tressaillait, lorsque le vent,
Se déchaînant, faisait rage,
Et qu’il s’en allait, bravant
L’orage !

Kin-Fo écoutait toujours et ne dit rien, cette fois.

La Tankadère finit ainsi :

Qu’as-tu besoin de courir
La fortune ?
Loin de moi veux-tu mourir ?
Voici la troisième lune !
Viens ! Le bonze nous attend
Pour unir au même instant
Les deux phénix, nos emblèmes ![1]
Viens ! Reviens ! Je t’aime tant,
Et tu m’aimes !

« Oui ! peut-être ! murmura Kin-Fo, la richesse n’est-elle pas tout en ce monde ! Mais la vie ne vaut pas qu’on essaie ! »

Une demi-heure après, Kin-Fo rentrait à son habitation. Les deux étrangers, qui l’avaient suivi jusque-là, durent s’arrêter.

Kin-Fo tranquillement se dirigea vers le kiosque de « Longue Vie », en ouvrit la porte, la referma, et se trouva seul dans un petit salon, doucement éclairé par la lumière d’une lanterne à verres dépolis.

Sur une table, faite d’un seul morceau de jade, se trouvait un coffret, contenant quelques grains d’opium, mélangés d’un poison mortel, un « en-cas » que le riche ennuyé avait toujours sous la main.

Kin-Fo prit deux de ces grains, les introduisit dans une de ces pipes de terre rouge dont se servent habituellement les fumeurs d’opium, puis il se disposa à l’allumer.

« Eh ! quoi ! dit-il, pas même une émotion, au moment de m’endormir pour ne plus me réveiller ! »

Il hésita un instant.

« Non ! s’écria-t-il, en jetant la pipe, qui se brisa sur le parquet. Je la veux, cette suprême émotion, ne fût-ce que celle de l’attente !… je la veux ! je l’aurai ! »

Et, quittant le kiosque, Kin-Fo, d’un pas plus pressé que d’ordinaire, se dirigea vers la chambre de Wang.

  1. Les deux phénix sont l’emblème du mariage dans le Céleste Empire.