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les tribulations d’un chinois en chine

tion duquel le riz est parfaitement étranger, — reçut les dernières volontés de Kin-Fo.

Après avoir légué à la jeune veuve sa maison de Shang-Haï, et à Wang un portrait de l’empereur Taï-ping, que le philosophe regardait toujours avec complaisance — le tout sans préjudice des capitaux assurés par la Centenaire, — Kin-Fo traça d’une main ferme l’ordre et la marche des personnages qui devaient assister à ses obsèques.

D’abord, à défaut de parents, qu’il n’avait plus, une partie des amis qu’il avait encore devaient figurer en tête du cortège, tous vêtus de blanc, qui est la couleur de deuil dans le Céleste Empire. Le long des rues, jusqu’au tombeau élevé depuis longtemps dans la campagne de Shang-Haï, se déploierait une double rangée de valets d’enterrement, portant différents attributs, parasols bleus, hallebardes, mains de justice, écrans de soie, écriteaux avec le détail de la cérémonie, lesdits valets habillés d’une tunique noire à ceinture blanche, et coiffés d’un feutre noir à aigrette rouge. Derrière le premier groupe d’amis, marcherait un guide, écarlate des pieds à la tête, battant le gong, et précédant le portrait du défunt, couché dans une sorte de châsse richement décorée. Puis viendrait un second groupe d’amis, de ceux qui doivent s’évanouir à intervalles réguliers sur des coussins préparés pour la circonstance. Enfin, un dernier groupe de jeunes gens, abrités sous un dais bleu et or, sèmerait le chemin de petits morceaux de papier blanc, percés d’un trou comme des sapèques, et destinés à distraire les mauvais esprits qui seraient tentés de se joindre au convoi.

Alors apparaîtrait le catafalque, énorme palanquin tendu d’une soie violette, brodée de dragons d’or, que cinquante valets porteraient sur leurs épaules, au milieu d’un double rang de bonzes. Les prêtres chasublés de robes grises, rouges et jaunes, récitant les dernières prières, alterneraient avec le tonnerre des gongs, le glapissement des flûtes et l’éclatante fanfare des trompes longues de six pieds.

À l’arrière, enfin, les voitures de deuil, drapées de blanc, fermeraient ce somptueux convoi, dont les frais devraient absorber les dernières ressources de l’opulent défunt.

En somme, ce programme n’offrait rien d’extraordinaire. Bien des enterrements de cette « classe » circulent dans les rues de Canton, de Shang-Haï ou de Péking, et les Célestials n’y voient qu’un hommage naturel rendu à la personne de celui qui n’est plus.