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les tribulations d’un chinois en chine

des représentants dans les cinq parties du monde. Elle faisait des affaires énormes et excellentes, grâce à ses statuts, très hardiment et très libéralement constitués, qui l’autorisaient à assurer tous les risques.

Aussi, les Célestials commençaient-ils à suivre ce moderne courant d’idées, qui remplit les caisses des compagnies de ce genre. Grand nombre de maisons de l’Empire du Milieu étaient garanties contre l’incendie, et les contrats d’assurances en cas de mort, avec les combinaisons multiples qu’ils comportent, ne manquaient pas de signatures chinoises. La plaque de la Centenaire s’écartelait déjà au fronton des portes shanghaïennes, et entre autres, sur les pilastres du riche yamen de Kin-Fo. Ce n’était donc pas dans l’intention de s’assurer contre l’incendie, que l’élève de Wang venait rendre visite à l’honorable William J. Bidulph.

« Monsieur Bidulph ? » demanda-t-il en entrant.

William J. Bidulph était là, « en personne » comme un photographe qui opère lui-même toujours à la disposition du public, — un homme de cinquante ans, correctement vêtu de noir, en habit, en cravate blanche, toute sa barbe, moins les moustaches, l’air bien américain.

« À qui ai-je l’honneur de parler ? demanda William J. Bidulph.

— À monsieur Kin-Fo, de Shang-Haï.

— Monsieur Kin-Fo !… un des clients de la Centenaire… police numéro vingt-sept mille deux cent…

— Lui-même.

— Serais-je assez heureux, monsieur, pour que vous eussiez besoin de mes services ?

— Je désirerais vous parler en particulier », répondit Kin-Fo.

La conversation entre ces deux personnes devait se faire d’autant plus facilement, que William J. Bidulph parlait aussi bien le chinois que Kin-Fo parlait l’anglais.

Le riche client fut donc introduit, avec les égards qui lui étaient dus, dans un cabinet, tendu de sourdes tapisseries, fermé de doubles portes, où l’on eût pu comploter le renversement de la dynastie des Tsing, sans crainte d’être entendu des plus fins tipaos du Céleste Empire.

« Monsieur, dit Kin-Fo, dès qu’il se fut assis dans une chaise à bascule, devant une cheminée chauffée au gaz, je désirerais traiter avec votre Compagnie, et faire assurer à mon décès le paiement d’un capital dont je vous indiquerai tout à l’heure le montant.