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kin-fo reçoit une lettre en retard.

Instinctivement, ses doigts se refermèrent et saisirent un corps cylindrique légèrement noueux, de raisonnable grosseur, qu’ils avaient certainement l’habitude de manier.

Kin-Fo ne pouvait s’y tromper : c’était un rotin qui s’était glissé dans sa main droite, et, en même temps, ces mots, prononcés d’un ton résigné, se faisaient entendre :

« Quand monsieur voudra ! »

Kin-Fo se redressa, et, par un mouvement bien naturel, il brandit le rotin correcteur.

Soun était devant lui, à demi courbé, dans la posture d’un patient, présentant ses épaules. Appuyé d’une main sur le tapis de la chambre, de l’autre il tenait une lettre.

« Enfin, te voilà ! dit Kin-Fo.

Ai ai ya ! répondit Soun. Je n’attendais mon maître qu’à la troisième veille ! Quand monsieur voudra ! »

Kin-Fo jeta le rotin à terre. Soun, si jaune qu’il fût naturellement, parvint cependant à pâlir !

« Si tu offres ton dos sans autre explication, dit le maître, c’est que tu mérites mieux que cela ! Qu’y a-t-il ?

— Cette lettre !…

— Parle donc ! s’écria Kin-Fo, en saisissant la lettre que lui présentait Soun.

— J’ai bien maladroitement oublié de vous la remettre avant votre départ pour Canton !

— Huit jours de retard, coquin !

— J’ai eu tort, mon maître !

— Viens ici !

— Je suis comme un pauvre crabe sans pattes qui ne peut marcher ! Ai ai ya ! »

Ce dernier cri était un cri de désespoir. Kin-Fo avait saisi Soun par sa natte, et, d’un coup de ciseaux bien affilés, il venait d’en trancher l’extrême bout.

Il faut croire que les pattes repoussèrent instantanément au malencontreux crabe, car il détala prestement, non sans avoir ramassé sur le tapis le morceau de son précieux appendice.

De cinquante-sept centimètres, la queue de Soun se trouvait réduite à cinquante-quatre.