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kin-fo reçoit une lettre en retard.

prismatiques de la dynastie des Ming et des Tsing, aux porcelaines plus recherchées encore de la dynastie des Yen, aux émaux cloisonnés roses et jaunes translucides, dont le secret est introuvable aujourd’hui, on eût, non pas perdu, mais passé des heures à les compter. Cette luxueuse habitation offrait toute la fantaisie chinoise alliée au confort européen.

En effet, Kin-Fo, — on l’a dit et ses goûts le prouvent, — était un homme de progrès. Aucune invention moderne des Occidentaux ne le trouvait réfractaire à leur importation. Il appartenait à la catégorie de ces Fils du Ciel, trop rares encore, que séduisent les sciences physiques et chimiques. Il n’était donc pas de ces barbares qui coupèrent les premiers fils électriques que la maison Reynolds voulut établir jusqu’au Wousung dans le but d’apprendre plus rapidement l’arrivée des malles anglaises et américaines, ni de ces mandarins arriérés qui, pour ne pas laisser le câble sous-marin de Shang-Haï à Hong-Kong s’attacher à un point quelconque du territoire, obligèrent les électriciens à le fixer sur un bateau flottant en pleine rivière !

Non ! Kin-Fo se joignait à ceux de ses compatriotes qui approuvaient le gouvernement d’avoir fondé les arsenaux et les chantiers de Fou-Chao sous la direction d’ingénieurs français. Aussi possédait-il des actions de la compagnie de ces steamers chinois, qui font le service entre Tien-Tsin et Shang-Haï dans un intérêt purement national, et était-il intéressé dans ces bâtiments à grande vitesse qui depuis Singapour gagnent trois ou quatre jours sur la malle anglaise.

On a dit que le progrès matériel s’était introduit jusque dans son intérieur. En effet, des appareils téléphoniques mettaient en communication les divers bâtiments de son yamen. Des sonnettes électriques reliaient les chambres de son habitation. Pendant la saison froide, il faisait du feu et se chauffait sans honte, plus avisé en cela que ses concitoyens, qui gèlent devant l’âtre vide sous leur quadruple et quintuple vêtement. Il s’éclairait au gaz tout comme l’inspecteur général des douanes de Péking, tout comme le richissime M. Yang, principal propriétaire des monts-de-piété de l’Empire du Milieu ! Enfin, dédaignant l’emploi suranné de l’écriture dans sa correspondance intime, le progressif Kin-Fo, — on le verra bientôt, — avait adopté le phonographe, récemment porté par Edison au dernier degré de perfection.

Ainsi donc, l’élève du philosophe Wang avait, dans la partie matérielle de la vie autant que dans sa partie morale, tout ce qu’il fallait pour être heu-